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ToggleNote de lecture : Les nouveaux Serfs de l’économie de Yanis VAROUFAKIS.
Editeur : Les Liens qui Libèrent. ISBN 979-10-209-2014-6 SEPT 2024
Dans un format de “note de lecture”, vous trouverez dans ce texte, en première partie, la principale thèse de ce livre, illustrée par quelques extraits qui montrent la démarche de l’auteur, extraits que j’introduis ou je conclus.
En deuxième partie j’expose les principaux autres champs d’exploration du livre et en troisième partie une conclusion personnelle proposant une analyse générale sur la thèse du livre et une prise de recul.
Pour présenter l’auteur nous pouvons dire qu’il est issu d’une famille socialiste et communistes Grecs, Yanis Varoufakis (1961) est emprunt des théories de type socialistes et Marxistes.
D’une formation supérieure en économie politique, il est professeur d’université, il a une très large et bonne vision des théories et de l’analyse économique.
Il a publié plusieurs livres, dont , « Adults in the Room » en 2017 ,où il parle de son expérience politique et gouvernementale durant la crise grecque ou « The global Minotaur » où il décrit l’ascension des États Unis dans l’après guerre jusqu’en 2008, publié en 2011/2015. https://fr.wikipedia.org/wiki/Yanis_Varoufakis
Lors de son expérience gouvernementale et politique, au sein du gouvernement Grec en 2015, comme ministre des finances, il a pu lui-même éprouver et analyser la réalité des mécanismes et des logiques capitalistes et économiques dont il parle dans son livre.
NB : Mes commentaires et explications en noir. Les citations du livre en italique.
Présentation de la théorie du Capital Cloud.
Dans sa préface Yanis Varoufakis , présente son hypothèse principal de travail de cette façon :
« Quelle est donc mon hypothèse? J’avance que le capitalisme est désormais mort, en ce sens que sa dynamique ne gouverne plus nos économies. Quelque chose de fondamentalement distinct joue désormais ce rôle, que je nomme le techno-féodalisme. Au cœur de ma thèse réside un paradoxe qui peut sembler déroutant au premier abord, mais dont j’espère montrer qu’il est parfaitement logique: ce qui a tué le capitalisme, c’est… le capital. Non pas le capital tel que nous le connaissons depuis les premiers temps de l’ère industrielle, mais une forme nouvelle de capital, une de ses mutations apparues au cours des vingt dernières années et dont la puissance est telle qu’elle a tué son hôte, pareille à un virus crétin en plein excès de zèle. Comment en est-on arrivé•es là ?
Deux faits inédits majeurs permettent d’expliquer cette évolution: la privatisation d’Internet par les géants de la tech états-uniens et chinois, et les réactions des banques centrales et des gouvernements occidentaux à la grande crise financière de 2008. »
Pour arriver à cette thèse son raisonnement s’articule ainsi : L’auteur montre que le capitalisme , qu’il nomme « productif », opposé à un capitalisme du « Cloud », c’est développé à partir de technologies qui n’avaient pas la même ampleur révolutionnaire que celles du Capital Cloud. Ce que l’auteur entend par révolutionnaire c’est sa capacité à changer radicalement la façon d’extraire de la richesse et celle de repousser les autres types de capitalismes.
A chaque forme de capitalisme correspond une classe sociale , bourgeoise et haute bourgeoise, rentiers , et cloudalistes, pour le capital cloud. Chacune de ces classes sociales correspondent donc à un type d’accumulation de capital.
La thèse de l’auteur est donc que cette classe particulière des cloudalistes apporte un élan révolutionnaire en imposant un modèle d’extraction de la valeur et en étant capable de supplanter les autres classes de capitalistes.
Il en explique l’existence, les moyens et mœurs ainsi :
P 140
« En revanche, les technologies qui ont donné naissance au capital cloud se sont révélées être bien plus révolutionnaires que toutes celles qui les avaient précédées. Par leur intermédiaire, le capital cloud a développé des capacités dont les types de capital productif précédents ne furent jamais dotés. Il est devenu tout à la fois capteur d’attention, concepteur de désirs, force agissante du travail prolétarien (par les techno-prolos), catalyseur de main-d’œuvre surabondante et gratuite (avec les techno-serfs) et, en prime, créateur d’espaces de transactions numériques totalement privatisés (des fiefs numériques, comme amazon.com) au sein desquels ni les acheteurs et acheteuses ni les vendeurs et vendeuses ne jouissent des possibilités dont iels bénéficieraient sur des marchés normaux.»
C’est le nœud de son explication, ces nouveaux capitalistes, n’applique plus les mêmes règles que les anciens. (Plus loin vous trouverez les explications sur les Techno-prolos et Techno-Serf et fiefs numériques.)
« Ses détenteurs – les cloudalistes – ont acquis ce faisant la faculté d’opérer ce que les Edison, Westinghouse, Ford et consorts ne purent jamais réaliser: se transformer en une classe révolutionnaire qui déloge avec énergie les capitalistes du sommet de nos hiérarchies sociales .
Au cours de ce processus, les cloudalistes ont modifié – certains consciemment, d’autres de manière irréfléchie – tout ce que les précédentes variantes de capitalisme nous avaient appris à considérer comme acquis: le concept de marchandise, l’idéal de l’individu autonome, l’identité comme bien inaliénable, les vecteurs de diffusion de la culture, les arènes de la vie politique, la nature de l’État, la texture de la géopolitique. »
Ici l’auteur décrit cette formidable mutation, revenant sur l’idée des techno-prolos, ceux qui ont juste les moyens de s’acheter un smartphone et qui livrent leur données gratuitement, et ceux qu’il appelle les techno-serfs qui produisent gratuitement les applications et qui paient un droit (environ 30% chez Amazon) sur leurs ventes pour pouvoir utiliser les structures techniques et la captation du temps de cerveau mis à disposition par le capital Cloud.
Cette vision est remarquable et forte, Elle explique et décrit parfaitement cette forme nouvelle d’extraction de la valeur. C’est un apport majeur de sa réflexion.
Quant à son aspect « révolutionnaire », il s’agit bien d’une révolution technologique à fort impact comme a pu l‘être la machine, elle-même portée par la révolution des énergies fossiles, et de plus repoussant le capitalisme classique dépassé et absorbé.
D’un autre côté, nous connaissions déjà ces formes particulières. Exprimé, par exemple, dans la maxime , « si ça n’a pas de prix c’est que c’est vous la marchandise » qui annonçait déjà ce changement de topique, portant sur les marchandises, l’identité, la culture,… .
Peut-être faut-il plutôt y voir, non plus la démultiplication de la force humaine, comme moteur principal de la révolution industrielle, appuyée sur les énergies fossiles, mais la démultiplication de l’esprit humain pour créer cette nouvelle révolution appuyée sur l’intelligence artificielle, et les techniques d’analyses du data-scientisme. (Data-scientisme, est la science de l’analyse et de l’étude des données massivement disponible sur le cloud, faisant appel à des outils mathématiques , probabilités, analyses de données, très sophistiquées).
L’auteur revient sur sa thèse concernant l’évolution du capitalisme dans sa transformation par le capital Cloud. En constatant que la plupart des sociétés investissant ou présentes dans le Cloud étaient structurellement déficitaires , il tend à montrer un déplacement fondamental dans la logique capitaliste ou le profit, dans cette nouvelle forme, ne semble plus en être le moteur principal.
P 151
« Alors, pour la première fois depuis l’avènement du capitalisme deux siècles et demi plus tôt, le profit cessa d’être le carburant qui alimentait le moteur de l’économie mondiale, en stimulant investissements et innovation. Désormais, c’était la politique monétaire des banques centrales qui jouait ce rôle, celui d’approvisionner l’économie. »
C’est sa thèse majeure qui explique le changement de nature du capitalisme , cette forme d’accumulation du capital aurait abolie la nécessité du profit.
Reste une question, sans profit, comment les cloudistes ont trouvé l’argent nécessaire ?
En réponse à cette question, YV décrit le processus suivant :
P 155
« En se servant de leurs actions à la hausse comme d’une garantie financière, les cloudalistes absorbèrent une grande partie des milliards en circulation dans le système financier.
Grâce à cela, ils se payèrent des fermes de serveurs, des câbles de fibre optique, des laboratoires de recherche en intelligence artificielle, de gigantesques entrepôts, des développeurs de logiciels, des ingénieurs de haut niveau, des start-ups prometteuses et tout le bazar. Dans un environnement où le profit était devenu facultatif, les cloudalistes s’emparèrent de l’argent des banques centrales pour se bâtir un nouvel empire. »
Il revient sur les principes d’économie politique du capital Cloud en en décrivant le fonctionnement et aborde deux points nouveaux: la constitution des fiefs numériques, “l’enclosure des communs” et la prédation de pans entiers de l’économie réel et financière par des entités ad-hoc.
*Extrait Wikipédia ici «Le mouvement des enclosures a commencé en Angleterre au XVIe siècle. Des champs ouverts et pâturages communs cultivés par la communauté ont été convertis par de riches propriétaires fonciers en pâturages exclusifs pour des troupeaux de moutons, en vue du commerce de la laine alors en pleine expansion. Il s’ensuivit un très fort appauvrissement de la population rurale, entraînant parfois des mouvements de révolte, comme dans les Midlands en 1607.»
p168-169
« Nous avons vu comment le mouvement d’enclosure des communs* de *l’Internet avait mené à l’apparition du capital cloud, et en quoi ce type de capital différait des autres: son détenteur n’a rien à dépenser pour qu’il se reproduise, en nous transformant toutes et tous en techno-serfs.
Nous avons vu comment la transition numérique avait conduit Amazon à fonctionner désormais tel un fief du cloud, au sein duquel les entreprises traditionnelles rétribuent Jeff Bezos pour agir en vassales.
Et nous avons vu comment les cloudalistes à la tête des grandes entreprises numériques réussirent ce tour de force: en surfant sur la vague de l’argent dispensé par les banques centrales convertissant les profits en option facultative.
À la fin du chapitre précédent, nous examinions deux conséquences immédiates de ce succès: la valorisation sans cesse croissante des entreprises de type **PropCom a permis aux fonds privés de mettre la main sur tout ce qu’ils pouvaient, tandis que les **Big Three ont établi une sorte de monopole collectif sur des pans entiers de l’industrie….
Fondamentalement qu’est ce qui a changé…, C’est tout bonnement que la rente a triomphé du capital »
*Internet était basé sur le principe dit de « la neutralité du net ». C’est-à-dire que le service délivré à chacun était le même et sur le principe de l’accès libre aux services offerts. Pas de captation de services généraux comme un moteur de recherche où l’on oblige l’utilisateur à s’identifier, à s‘abonner, à acquérir des services supplémentaires, et à recevoir des messages tout en récupérant ses informations monétisables.
**PropCom et Big Three, sont les noms génériques données aux structures qui pour PropCom ont investi dans l’immobilier possédé par les cloudalistes et BigThree, les trois grandes entreprises , fonds financiers qui possèdent une part très importante de l’économie dans ,les biens, les services, la finance. A noter qu’il y a donc bien un lien structurel entre les différents modes du capitalisme.
Le retour à la rente: Il y a un changement manifeste et profond dans la nature du capitalisme entre le capitalisme classique, financier ou productif et le capital cloud , on passe du profit à la rente . Voici ce qu’en dit YV:
P 172
« En régime capitaliste, il est bien plus difficile de saisir la signification de la rente* et de la distinguer du profit… Arithmétiquement parlant, il n’y a aucune différence: rente et profit correspondent tous deux au montant d’argent qui reste après avoir payé les coûts. …. Le profit est vulnérable à la concurrence qui régit le marché, ce qui n’est pas le cas de la rente. La raison en revient à leur origine distincte. *La rente provient d’un accès privilégié à des biens dont l’offre est fixe, comme des terres fertiles ou des réserves de combustibles fossiles; il n’est pas possible de produire davantage de ces ressources, quelles que soient les sommes d’argent que l’on y investit. Le profit, en revanche, est empoché par des entrepreneurs qui ont investi dans des choses qui, faute de quoi, n’auraient pas existé… »
*La rente était déjà le sujet de longue discussion entre les économistes classiques. L’apparition du capitalisme moderne tel que décrit ce par K.Marx, ou Adam Smith, ou David Ricardo se fondait déjà en se différenciant de la rente.
La rente ayant cette caractéristique de pouvoir même s’améliorer sans aucun effort d’investissement ou de travail salarié ou non. ( Nous avons de nombreux exemples de valorisation de loyer sans aucun effort du rentier). Le capitalisme moderne imaginant la nécessité de la création d’une valeur, notamment grâce au salariat.
Le pouvoir des cloudalistes sur le reste du monde s’explique ainsi selon l’auteur :
« En automatisant les deux secteurs de la technostructure en charge de la modification des comportements (NDLR: c’est-à-dire : automatisation, des processus de contrôle du travail, et et des processus d’influences commerciales, marketing… l’auteur parle des services de commandements ), le capital cloud les a soustraits de l’économie de services administrée par les humain•es pour les incorporer entièrement dans son réseau de machines. Les tâches qui, sous le contrôle de la technostructure, étaient accomplies par les chef-fes d’atelier, les publicitaires, les spécialistes du marketing, etc. sont désormais confiées à des algorithmes pilotés par l’IA et entièrement intégrés au capital cloud.
…. Si l’on reprend l’analyse ….. qui portait sur la nature duale du capital, (Travail+Capital investit)…. le capital cloud se distingue des formes antérieures de capital en y ajoutant une tierce nature.
La tierce nature du capital cloud est à cheval sur trois types de modification algorithmique des comportements. Le premier persuade les consommateur-rices de reproduire le capital cloud (c’est-à-dire qu’il les transforme en techno-serfs). Le deuxième ordonne aux salarié-es de travailler plus dur (c’est-à-dire qu’il transforme le prolétariat et le précariat en techno-prolos). Enfin, le troisième remplace les marchés par des *fiefs du cloud. Pour ainsi dire, la tierce nature du capital cloud confère à ses détenteurs (les cloudalistes) un pouvoir inédit»
*La thèse de l’auteur ici est que les marchés permettant l’adaptation du prix entre vendeurs et acheteurs , n’existe plus puisque le fief du cloud a ses propres règles de fixation du prix et de la rémunération du vassal, sans discussion possible, ou très difficile.
«Tandis que les capitalistes ne peuvent exploiter que les travailleurs qu’ils emploient, les cloudalistes tirent parti d’un régime d’exploitation universelle. En effet, les techno-serfs travaillent gratuitement à l’accroissement du stock de capital cloud qui permet aux cloudalistes de s’approprier toujours plus la plus-value que les capitalistes extraient du travail de leurs salarié-es, désormais converti-es en techno-prolos dont le procès de travail est contrôlé et accéléré par le capital cloud. »
A ce stade du livre, fin du chapitre 5, tous les éléments centraux de sa thèse sont définis.
Je vous propose d’examiner le graphique ci-dessous , qui synthétise l’ensemble du circuit économique de ce nouveau capitalisme féodal qui se trouve, page 317 dans l’Annexe 1 intitulé : L’économie politique du techno-féodalisme. L’auteur y reprend des définitions de ses différents concepts et ceux de l’économie politique en général.
Autres points abordés dans le livre.
L’auteur développe autour de cette vision théorique un certain nombre de compléments et d’explications.
Dans les 2 premiers chapitres il explique les contextes et présente certains concepts du capitalisme et de son évolution en 2 siècles.
Puis viennent 3 chapitres, 3-4-5, développant à proprement parlé sa thèse sur le “capital Cloud”
Enfin il termine en montrant l’impact mondial de ce nouveau capitalisme , chapitre 6, puis quelques moyens pour le combattre et en sortir , chapitre 7.
Chapitre 1: les lamentations de Hésiode.
L’auteur y fonde quelques principes de l’économie capitaliste. En parlant de ses discussions avec son père, il donne quelques viatiques comme la distinction des natures du travail, le travail comme expérience , et le du travail comme marchandise. Dans le rapport capitaliste, on ne peut vendre que sa force de travail, pas son travail tel que le dit K.MARX.
Peu d’autres éléments techniques, plutôt une mise en contexte de ses idées et de leurs origines.
Chapitre 2 : Les métamorphoses du capitalisme.
L’auteur analyse les transformations du capitalisme et l’émergence de nouveaux paradigmes, je résume ansi ces différentes métamorphoses ou grandes ruptures ou évolution dont il fait mention :
- La marchandisation généralisée : Un capitalisme fondé sur la fabrication experte des désirs, rendant tout commercialisable, comme l’illustre Draper.
- La technostructure : Une fusion entre l’administration issue de l’économie de guerre et le capitalisme productif et financier.
- L’économie de l’attention : La valeur ne réside plus dans le bien lui-même, mais dans le temps de captation du cerveau, servant à vendre produits, services et idées, avec la télévision comme modèle emblématique.
- La dollarisation : Après-guerre, l’arrimage des monnaies au dollar, soutenu par des plans comme le Marshall, permit aux États-Unis d’imposer une balance commerciale excédentaire. Ce système s’effondre avec la fin de Bretton Woods et la décision de Nixon d’abandonner la convertibilité du dollar en or.
- Les flux monétaires mondiaux : L’émission massive de dollars, conjuguée à la montée du Japon, de la Chine et des pétromonarchies, permit le rachat de la dette américaine et le maintien de l’économie mondiale. Mais en 2008, cette dynamique se brise avec la crise financière.
- La crise de 2008 : Un système de Ponzi reposant sur les subprimes s’effondre car une part significative des débiteurs deviennent insolvables, provoquant les premières faillites de banques comme celle de Lehman Brothers.
Pour stabiliser le système financier mondial, les États, par leurs banques centrales, injectent massivement de la monnaie dans l’économie par le rachat des titres douteux, ou la recapitalisation des banques…, .
Pour Y.Varoufakis, de cette création monétaire massive naît l’ultime phase du capitalisme : le capital cloud, objet central de la thèse de l’auteur.
Suivent 3 chapitres: (Chapitre 3,4,5 – voir plus haut “Présentation de la théorie du Capital Cloud”)
- Chapitre 3,le capital cloud,
- Chapitre 4, l’ascension des cloudalistes et la disparition du profit
- Chapitre 5, les mots sont importants.
Chapitre 6, l’incidence mondiale du techno-féodalisme: la nouvelle guerre froide.
Depuis l’ère Obama, et plus encore sous Trump et Biden, les États-Unis ont désigné la Chine comme leur principal adversaire stratégique. Cette hostilité s’est traduite par des mesures de rétorsion sévères, notamment dans les secteurs des semi-conducteurs et des télécommunications (exclusion de Huawei, restrictions technologiques, etc.). Pourtant, cette posture peut sembler paradoxale au regard des relations économiques tissées entre les deux puissances depuis des décennies.
En effet, alors que les États-Unis ont inondé le monde de dollars et délocalisé une grande partie de leur industrie – notamment vers la Chine –, cette dernière a, en retour, financé l’économie américaine en achetant sa dette sous forme de bons du Trésor et en investissant dans les secteurs financiers, immobiliers et assurantiels (FIRE : Finance, Insurance, Real Estate). Toutefois, ces investissements chinois n’ont jamais pu pénétrer les industries stratégiques américaines comme l’automobile ou la banque.
L’économiste Yanis Varoufakis évoque ce qu’il nomme le “pacte obscur”, un accord tacite qui aurait structuré la mondialisation de 1971 à 2008. Ce pacte aurait permis aux États-Unis de continuer à dominer la finance mondiale tandis que la Chine bénéficiait de son rôle d’atelier du monde. Les Européens, ainsi que les pays émergents, se sont inscrits dans cette dynamique.
Cependant, la crise financière de 2008 a changé la donne. Pour éviter l’effondrement de l’économie mondiale, la Chine a massivement investi, favorisant une croissance interne sans précédent. Mais cet effort a aussi permis aux entreprises chinoises d’accélérer leur développement et de rivaliser avec les géants américains du numérique. Face à Amazon, Meta, Google ou Twitter, sont apparus leurs équivalents chinois : Alibaba, Tencent, Baidu, Ping An…
Toutefois, en Chine, l’État entretient un contrôle omniprésent sur l’économie. Certains chefs d’entreprise ont tenté de s’affranchir de cette tutelle, mais ils l’ont payé très cher. Finalement, c’est l’État chinois lui-même qui est devenu le principal acteur du cloud computing et du numérique, maîtrisant ainsi l’ensemble du “capital cloud”. Ce contrôle renforce son emprise sur la population et l’économie nationale.
Le monde s’est alors scindé en deux grands blocs cloudalistes : l’américain et le chinois. Une confrontation était inévitable. Mais pour qu’un basculement s’opère réellement, il fallait un élément déclencheur.
Ce tournant est survenu en février 2022, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En réaction, les États-Unis et leurs alliés ont gelé 300 milliards de dollars d’avoirs russes – une décision sans précédent dans l’histoire bancaire moderne. Ce signal a profondément inquiété la Chine, qui a pris conscience du risque de dépendance au dollar et a accéléré la mise en place d’une finance chinoise indépendante du système occidental.
Désormais, deux systèmes financiers globaux autonomes coexistent : le SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications) en dollar, dominé par les États-Unis, et le CIPS (China International Payments System) en yuan, contrôlé par Pékin. Cette bifurcation économique marque le début d’une nouvelle guerre froide, où Américains et Chinois se disputent la gouvernance et le contrôle de l’économie mondiale.
En résumé, l’auteur met en exergue la transformation des rapports de force internationaux, provoqué par l’apparition du techno-féodalisme où d’anciennes interdépendances se transforment en rivalités ouvertes, et où des événements géopolitiques majeurs – comme la crise ukrainienne – servent de catalyseur à une redéfinition du système financier et du pouvoir global.
Chapitre 7, sortir du techno-féodalisme.
Le techno-féodalisme nous transforme en pantins soumis à des injonctions extérieures. En déshumanisant l’autre tout en le maintenant paradoxalement proche et lointain, il alimente des réflexes sectaires et identitaires, amplifiés par des algorithmes optimisant l’extraction de rentes cloud, comme le souligne Y. Varoufakis.
Cette « machine cloud » exacerbe nos peurs et nos biais cognitifs, capte notre attention, affaiblit notre concentration et notre esprit critique, notamment via les réseaux sociaux (Méta, TikTok, etc.), qui accaparent notre temps et empêchent le recul.
Aucune régulation ne sera efficace sans une action collective. Or, les « cloudalistes » nous prennent en otage : nos données et identités leur appartiennent, contacts, photos, discussion,… et migrer d’une plateforme vers une autre est complexe. L’Europe tente d’imposer un partage des données, mais avec difficulté.
Ce combat dépasse la simple lutte antitrust. La fragmentation sociale orchestrée par le capital cloud empêche la social-démocratie d’arbitrer entre le capital et le travail. De la gauche à l’ultra-droite, les acteurs politiques n’ont plus de prise sur ce pouvoir dématérialisé.
La blockchain et les cryptomonnaies renforcent cette impuissance. En supprimant les niveaux de confiance traditionnels, elles profitent aux « cloudalistes », qui s’enrichissent grâce à la spéculation. Le bitcoin, initialement conçu comme une alternative monétaire, est devenu un actif spéculatif, sa rareté (21 millions d’unités) favorisant la rétention plutôt que l’échange. Pourtant, la blockchain pourrait avoir des usages bénéfiques, comme la certification d’échanges ou la validation de documents.
Face à l’impasse du social-libéralisme et à l’érosion de la social-démocratie, l’auteur explore les solutions possibles pour briser ce cercle vicieux.
De tradition socialiste révolutionnaire l’auteur propose donc l’appropriation collective comme solution pour sortir du techno-feodalimse. Il dit lui-même qu’il a dans une fiction publié en 2020, « Another now : Dispatches from … », explorer ce future possible.
Pour arriver a révolutionner le Cloud l’auteur détermine 3 domaines principaux :
- Démocratiser les entreprises : Dans Le monde de l’entreprise il propose que les salariés possèdent tous le même nombre d’action. Ayant ainsi un pouvoir de participer aux décisions. Il en décrit des modes opératoires possibles.
- Démocratiser la monnaie : La création d’un compte individuel pour chaque terrien par la banque centrale, en fait un commun. Appartenant à tous, elle permet la création d’un revenu de base universel et la maîtrise du système financier international par une monnaie de change appelée « Cosmos ». L’instauration d’une fiscalité ad-hoc au niveau national et international, met à disposition les ressources nécéssaires.
- Considérer que le cloud et la terre sont des « communs » . (ils appartiennent a tous) :
- Dans ce monde différent et sans cloudalistes, l’utilisation d’application libre sur le cloud permet de gérer ses activités comme le travail, ses loisirs, son apprentissage.
- Les données ne sont plus massivement utilisés par les cloudalistes , mais mise a disposition par des entreprises responsables pilotées par leurs salariés.
- Localement des entités collectives territoriales administrent les espaces géographiques communs, pour les zones commerciales ou industrielles, ou publics selon des règles particulières.
- Du local au national, est mis en place un système de consultations populaire démocratique, dont les membres sont des citoyens choisis au hasard. Ils établissent des propositions de lois qui sont soumises à des parlements, eux composés d’élus, qui débattent et adoptent les lois.
Pour réaliser une sortie du techno-féodalisme l’auteur prône « la rébellion du cloud ». Pour lui il faut donc prendre le pouvoir dans le cloud, il faut mobiliser via le cloud . En effet, dans le même mouvement ou il provoque un asservissement des comportements, le cloud fournit lui-même les moyens permettant de le déstabiliser, car il permet a chacun de communiquer avec tous.
Une réaction des Techno-prolos et des techno-serfs coordonnée, suffirait à le perturber gravement selon lui. Il donne quelques exemples, des actions de boycott d’applications, jointe à des grèves des salariés du fief cloud par exemple Amazon. Dans sa vision, il faut coordonner et accepter une suspension, même temporaire, d’un usage de quelques fiefs.
Suit une Annexe 1 : L’économie politique du techno-féodalisme dont je ne ferai pas de commentaires particuliers ici.
Conclusions et réflexions : Le capitalisme cloud n’est-il qu’un avatar techno-féodaliste du capital ou son dépassement ultime ?
L’analyse du Capital Cloud met en évidence un changement fondamental dans la logique du capitalisme classique. On peut penser alors à une rupture radicale et au dépassement même du capitalisme classique basé sur le profit, le salariat.
L’auteur suggère que nous assistons à l’émergence d’un nouveau paradigme fondé sur la rente, le travail non salarié et une forme d’asservissement qui pourrait être comparée à une féodalisation de l’économie politique. Cette approche apporte des réponses aux grandes interrogations économiques et sociales des dernières décennies.
Vers une nouvelle économie politique
La capacité explicative de la thèse de l’auteur
L’efficacité performative du techno-féodalisme porte notamment sur l’explication des constats suivants mal ou peu expliqués jusqu’alors :
L’utilisation massive de liquidités par les banques centrales et les États, en particulier après 2008, alors que cet afflux monétaire ne s’est pas traduit par un investissement dans le capital productif. Son hypothèse en fournit une première explication
Le recul du capitalisme classique, à la fois productif et financier, au profit du Capital Cloud, entraînant une hypervalorisation de ces actifs numériques, dépassant parfois le PIB de nombreuses nations.
L’hyper-captation de l’attention et du temps de cerveau, en particulier chez les jeunes générations, orientées vers des plateformes et services numériques aux logiques addictives.
La disruption du salariat, à travers l’ubérisation et la généralisation du travail indépendant, entraînant une précarisation proche de celle d’un système féodal où les travailleurs sont dépendants d’un seigneur numérique possédant un fief.
Le retour en force de la logique de rente, via des modèles économiques basés sur l’abonnement, la taxation des transactions et la valorisation d’actifs immatériels.
Les limites et vulnérabilités du Capital Cloud
Cependant, ce modèle n’est pas exempt de faiblesses structurelles et de risques majeurs. Le Capital Cloud ne peut fonctionner de manière autonome sans s’appuyer sur les autres formes de capitalisme. Plusieurs facteurs critiques peuvent fragiliser son hégémonie :
1. La dépendance technologique et la concurrence disruptive
L’un des risques majeurs réside dans la possibilité d’une rupture technologique qui viendrait remettre en cause les modèles économiques établis. Par exemple, l’émergence de solutions comme DeepSeek en intelligence artificielle pourrait réduire considérablement les coûts, mettant en difficulté des entreprises comme OpenAI, dont le modèle repose sur des infrastructures très coûteuses.
Cette concurrence féroce affecte tous les secteurs du numérique. Facebook, par exemple, a subi une érosion progressive de sa base d’utilisateurs au profit d’Instagram et TikTok, illustrant la volatilité des positions dominantes dans le Capital Cloud. L’offre pléthorique et la saturation des marchés rendent difficile la justification d’une survalorisation perpétuelle des entreprises de ce secteur.
2. Rentabilité et risques de bulles financières
Le Capital Cloud repose sur des volumes massifs de liquidités injectées dans l’économie sans contrainte immédiate de rentabilité. La valorisation des entreprises s’appuie souvent sur la croissance des usages et non sur des bénéfices concrets. Cela expose le système à des bulles spéculatives et à des effondrements soudains, comme l’a illustré la crise des cryptomonnaies avec l’effondrement de plateformes comme FTX.
Les hausses des taux d’intérêt et le retour à des politiques monétaires plus restrictives risquent de rendre ce modèle insoutenable. Les États et banques centrales ne peuvent plus indéfiniment alimenter cette économie virtuelle sans conséquences sur l’ensemble du système financier.
3. Les contradictions internes du modèle
Le Capital Cloud ne peut fonctionner indépendamment du capitalisme productif et des infrastructures matérielles. Il repose sur un équilibre économique où une partie de la population dispose encore de revenus suffisants pour consommer des biens et services traditionnels.
Si la paupérisation des classes moyennes et populaires s’intensifie, la demande pour les biens de consommation (automobiles, électroménager, voyages, services financiers) pourrait s’effondrer, entraînant une crise économique généralisée. Une telle situation fragiliserait inévitablement les plateformes du Capital Cloud, qui dépendent en fin de compte du pouvoir d’achat global, et de leur capacité à vendre à des acteurs solvables leur données.
En outre, la montée des inégalités et la précarisation des travailleurs pourraient engendrer des tensions sociales et des révoltes, menaçant la stabilité du système économique et politique.
Vers un nécessaire équilibre économique
L’avenir du capitalisme numérique ne pourra pas se construire sans compromis avec les autres formes de capitalisme. Un équilibre entre les différentes sources de valeur – production industrielle, services traditionnels et Capital Cloud – sera essentiel pour éviter des crises majeures.
Loin d’être une fin en soi, le Capital Cloud apparaît comme une mutation du capitalisme, qui, comme toutes les formes d’accumulation de richesse avant lui, connaîtra des cycles de crises et de restructurations.
Sous cet angle le capitalisme c’est essentiellement ce qui permet à des individus, voire une classe sociale, de s’accaparer une partie de la valeur ajoutée produite. Le capitalisme c’est une technique d’extraction de la valeur des activités humaines, qui comporte plusieurs formes. Et toute ces formes sont en lutte relative les unes contre les autres.
Le cerveau des hommes : une nouvelle révolution en cours
Nous assistons aujourd’hui à une transformation radicale, comparable à celle de la révolution industrielle. Alors que cette dernière avait démultiplié la force physique de l’homme, la révolution numérique vise à amplifier – et potentiellement remplacer – ses capacités cognitives, elle vise à démultiplier l’intelligence humaine.
Cette mutation ne se limite pas à un changement économique ; elle pose des questions fondamentales sur l’avenir de l’humanité elle-même. Le Capital Cloud pourrait être l’avant-garde d’une nouvelle ère où l’intelligence humaine serait supplantée par des entités artificielles autonomes, ancrées dans des infrastructures numériques omniprésentes.
Cette perspective s’inscrit dans le projet du transhumanisme, qui se matérialise progressivement à travers le développement de l’intelligence artificielle et des technologies immersives.
Le Capital Cloud : un avatar du capitalisme
Le Capital Cloud n’est pas une rupture totale avec les dynamiques du capitalisme, mais une évolution de ses mécanismes d’accumulation et d’extraction de valeur. De la même manière que le capitalisme financier avait révolutionné l’économie industrielle, cette nouvelle phase redistribue les rapports de pouvoir et de domination économique.
L’analyse marxiste, qui souligne que l’accumulation bénéficie toujours à une classe dominante, reste pertinente. Ici, cette élite économique est constituée des Cloudalistes, maîtres des infrastructures numériques, des plateformes et des algorithmes.
Cependant, toute analyse qui essentialise le Capital Cloud comme une fin en soi risque de surestimer sa capacité à redéfinir entièrement le capitalisme. L’histoire économique a montré que toutes les formes de capitalisme ont connu des crises et des ajustements. Il est donc probable que le Capital Cloud subisse lui aussi des restructurations, voire des limitations, imposées par des logiques financières, sociales et politiques.
Conclusion
Le Capital Cloud représente une transformation majeure du capitalisme, mais il n’échappe pas aux contradictions et aux vulnérabilités inhérentes à tout système économique.
Il ne peut exister sans une base productive et une économie matérielle solide.
Il est exposé à des crises technologiques, financières et sociales.
Il devra composer avec d’autres formes de capitalisme concurrentes pour assurer un équilibre durable.
En somme, cette nouvelle phase du capitalisme est une rupture dans sa mécanique d’extraction de la valeur, mais il est en fait une évolution majeure dans l’extraction de valeurs économiques qui, comme toutes les précédentes, connaîtra des ajustements, des crises et, potentiellement, des mutations futures encore plus profondes.
Post-scriptum :
Les risques liés aux cryptomonnaies.
L’absence de régulation dans le domaine des cryptomonnaies constitue un danger majeur pour la stabilité financière mondiale. En permettant des transactions totalement déconnectées des institutions étatiques et bancaires, ces actifs offrent un terrain propice aux manipulations et aux crises spéculatives.
Si ces technologies devaient être totalement dérégulées, elles pourraient engendrer un effondrement du système financier international, en privant les États et institutions économiques de leurs mécanismes de contrôle.
L’auteur
Résumé vérifié de présentation de Yanis Varoufakis, proposé par ChatGpt.
Yanis Varoufakis est un économiste et homme politique grec, surtout connu pour son rôle de ministre des Finances pendant la crise de la dette grecque en 2015. Figure controversée et passionnée, il critique ouvertement les politiques néolibérales et plaide pour une refonte des systèmes économiques mondiaux. En parallèle de son engagement politique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages qui mêlent analyse économique et réflexion sur des alternatives systémiques. Parmi ses livres les plus célèbres, on peut citer :
- Adults in the Room (Les adultes dans la salle) : Un récit captivant de son expérience au cœur de la crise grecque. Publié en 2017 VF en 2018.
- Talking to My Daughter About the Economy (Parler d’économie avec ma fille) : Une introduction accessible aux rouages de l’économie, présentée sous forme d’une conversation intergénérationnelle. publié en 2017
- Technofeudalism: What Killed Capitalism, (Le techoféodalime a tué le capitalisme) Publié en 2023, Un essai dans lequel Varoufakis soutient que le capitalisme est en train d’être remplacé par une nouvelle forme de féodalisme dominée par les grandes plateformes technologiques.
- Another Now: Dispatches from an alternative present (Une réalité alternative : Dépêches en provenance d’un autre présent) : Un essai romancé qui imagine un futur alternatif et explore des scénarios économiques différents. Publié en 2020.
- The Global Minotaur (Le Minotaure global) (2011, révisé en 2015) : Une analyse du rôle des États-Unis dans l’économie mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale, et des déséquilibres qui ont conduit à la crise financière de 2008.
- And the Weak Suffer What They Must? (Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ?) (2016) : Un livre qui retrace l’histoire économique de l’Europe et critique les politiques d’austérité imposées par l’Union européenne.
- A Brief History of Capitalism: The Future of Technology, Money and Politics (2024) : Un ouvrage qui propose une vision globale de l’évolution du capitalisme et des mutations en cours sous l’effet de la technologie et de la finance.
Ces ouvrages témoignent de son engagement intellectuel et de sa volonté de repenser les fondements du système économique actuel.
Une fiche de lecture de Paul de L’Isle.
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