IA, Temps de travail, Projet pour une nouvelle économie politique

Du temps de travail,  de l’ IA, de l’automatisation robotique et de la répartition ou de l’appropriation de la valeur
ou, “Projet pour une nouvelle économie politique en 10 points.”

Introduction :

Nous vivons une très grande évolution dans l’économie, l’apprentissage et l’éducation, le travail, le savoir, depuis plus de deux cents ans maintenant. Depuis le siècle des Lumières, une formidable machine s’est mise en marche.
Fondée sur l’accès à une énergie fossile abondante et très peu chère, elle nous a permis un développement extraordinaire, qui a débuté dans l’Occident européen et s’est répercuté ensuite sur le reste du monde. Cette évolution formidable nous a apporté le soin, la profusion des biens et des services, et des innovations technologiques incroyables.

Il faut aussi noter que tous ces développements ont des contreparties négatives graves pour la planète comme pour les peuples.

Une nouvelle étape arrive dans un monde fracturé, entrevoyant d’énormes problématiques de développement humain, de géopolitique, de climat ou de biodiversité. Monde que nous qualifierons de “en crise”.

Mais comme toutes les crises, par les changements qu’elle impose, elle est aussi une chance.

Ce changement se fait dans nos processus de production matérielle et intellectuelle, ce bouleversement, lié à l’économie de temps de travail qu’il provoque, a et va avoir un impact encore plus important que celui que nous constatons déjà.

Le tsunami annoncé sur les emplois humains, l’appauvrissement provoqué par la diminution des ressources fossiles, la transformation du capitalisme, sa concentration inéluctable et la perturbation considérable de notre écosystème vont s’entrechoquer pour nous bousculer.

Il n’est pas question ici de retracer ce parcours formidable et tragique. Nous allons partir d’une nouvelle réalité qui s’impose et qui porte en elle une nouvelle évolution majeure comme celle de l’imprimerie, du moteur à explosion ou de la téléphonie, pour ne pas dire une véritable révolution.

Le développement fulgurant de l’IA , des moyens robotiques et la transformation du travail humain intellectuel et manuel qui en résulte représentent cette nouvelle évolution ou révolution majeure.
Elle s’opère par la généralisation des moyens de traitement de l’information et la généralisation de ses périphériques, mais également par la mécanisation des processus de production dite robotisation. 

L’une des caractéristiques structurelles de cette évolution économique et sociale porte sur le temps de travail humain nécessaire à produire les biens et services dont nous avons besoin. 

Nous n’allons pas évaluer ici la notion de besoins humains, bien qu’elle puisse être une partie de la solution de certaines de nos difficultés futures, ni d’autres considérations humaines, géopolitiques, mais nous allons réfléchir à l’économie de cette nouvelle société qui émerge. 

Quelles sont les conséquences de cette évolution majeure et une fois produit ce dont elle a besoin, comment se définissent les règles d’extraction et de répartition de la valeur entre le travail humain et le capital ? 

Nous allons donc nous concentrer sur l’économie politique qui pourrait ou devrait en résulter. Car au fond c’est bien ce qui détermine, pour une très grande part, notre vie sociale. 

Du temps de travail,  de l’ IA, de l’automatisation robotique et de la répartition ou de l’appropriation de la valeur
ou, “Projet pour une nouvelle économie politique en 9 points.”

De la production : 

Les conditions de production des biens et services dans le monde changent très vite. Elles provoquent aujourd’hui une évolution dont l’intensité et la rapidité sont effectivement sidérantes et vont avoir un impact considérable sur nos vies. Pour commencer reprenons ces lignes de force indispensables pour comprendre et fonder ensuite une nouvelle économie politique adaptée à cette nouvelle réalité.

1 ° L’IA comme vecteur de productivité supprimant du labeur ( intellectuel) humain.

L’IA, son utilisation, supprime les tâches intellectuelles répétitives, celles de mise en forme, de résumé de texte, de reporting, de communication… 

L’IA réduit le temps nécessaire à l’obtention d’un résumé, d’une recherche , d’une rédaction…

Les gains de productivité étaient déjà là avec l’informatique, les outils bureautiques, mais il fallait encore beaucoup de temps et de travail pour fabriquer un résultat.

Aujourd’hui nous pouvons, en quelque sorte, demander à l’IA de travailler pour nous. Nous n’avons plus qu’à donner des ordres et certainement à contrôler ce qui nous est restitué.

Ce qui provoque une mutation sans précédent. Ce qui est réellement nouveau, c’est la rapidité et l’importance de la diffusion de cette mutation qui supprime et supprimera brutalement, en moins de 5 à 10 ans, un très grand nombre d’emplois. Nous parlons de 10 à 40% des emplois selon les secteurs d’activités dans un délai extrêmement court.

2° La robotisation comme vecteur de suppression du labeur (physique) humain.

La robotisation permet sur le plan physique , comme l’IA sur le plan intellectuel , de supprimer du travail humain. Il n’est que de voir la mécanisation industrielle du passé récent.  Mais cette mécanisation était probablement aux limites de la nécessité de l’utilisation du travail humain pour produire les biens dits vitaux, puis essentiels puis les robots eux-mêmes. En embarquant des programmes de pilotage de plus en plus sophistiqués, l’IA lui donne un nouvel élan.

Grâce à l’IA, désormais, une machine robot peut remplacer la totalité du travail humain, pour construire des artefacts, piloter d’autres robots d’exécution, régler et tester les machines, inventer de nouveaux outils. Et cette extension du domaine de compétence ne s’arrête pas là , elle est aussi dans la guerre, le soin, le loisir.    

3° L’économie de temps de travail.

L’IA comme la robotisation permettent donc une économie considérable de temps de travail humain , lequel est alors affecté à d’autres tâches plus élaborées ou constitue une économie nette de temps. Le travail d’un autre poste, fréquemment le suivant, peut alors être commencé plus tôt, ce qui réduit le temps de production ou d’obtention d’un bien ou d’un service. Cette réduction du temps de travail nécessaire et du temps de production conduit également à la suppression d’emplois.

On peut dire, avec les tenants de la “destruction créatrice”, que cette destruction provoquée par le changement des conditions de production va permettre non seulement le changement des règles de production, mais surtout  la création de nouvelles offres, qui créeront ou seront tirés par de nouveaux besoins, selon votre angle d’approche, grâce à l’innovation.

De nouvelles factories, au sens d’usines de production, de nouveaux produits ou services se développent. L’économie classique et les business modèles sont disruptifs et disruptés.

Il n’est que de voir le développement du commerce en ligne, de l’ubérisation, des réseaux sociaux et de leurs business modèles basés sur la captation de l’attention et la féodalisation des travailleurs.  

4° De l’économie réelle et de l’économie physique.

L’économie réelle, c’est ce qui produit des biens et services utiles, qui font tourner la société. L’économie physique,  c’est l’économie vue comme un métabolisme, ancré dans le monde réel, dépendant des matières, de l’énergie et soumis aux limites planétaires.

Pour permettre à nos sociétés humaines de vivre, il faut qu’économie réelle et physique soient en accord. Elles dépendent l’une de l’autre, autant par la réalité de la production de biens, comme l’alimentation  ou l’habitat, que du fait de la réalité de la limite des ressources physique de la terre et des problématiques résultant du climat ou de la biodiversité.

Il nous faut donc des modèles économétriques qui correspondent à ces deux visions économiques, les besoins et les limites, la théorie du Donut est une voie possible, bien d’autres également.

Sont donc écartées à ce stade de notre réflexion, l’économie financière et l’activité de production de monnaie, qui sont des activités périphériques, périphériques ne voulant pas dire moins importantes en volume ou inférieures. Ces questions financières ont un impact sur l’économie réelle par les financements des entreprises et des États, et par les risques de crises issues de la spéculation, des dettes souveraines  …

5° La part de l’intervention humaine dans l’économie.

La part de l’intervention strictement humaine dans tous ces processus diminue fortement *. Elle ne reste prépondérante que lorsque l’homme souhaite garder la maîtrise ou là où les capacités physiques de l’homme lui donnent encore un avantage adaptatif, comparé au coût d’une machine.

L’homme reste également le demandeur in fine, c’est lui qui oriente, par ses besoins et ses demandes, la création économique des biens et services. Il ne lui restera peut-être un jour que ce rôle, du moins c’est vers cette utopie totale que nous semblons nous diriger.
Ce qui nous empêchera de la réaliser, c’est que nous ne disposons pas d’une quantité infinie de  tous les types de ressources naturelles plus ou moins rares sur terre, et que nous sommes en train de détruire l’équilibre écologique global de la planète. 

* Il y a une part de l’emploi qui varie en fonction de la dynamique de croissance de l’économie. Aujourd’hui nous avons un chômage structurel et conjoncturel, qui n’est pas lié uniquement à l’IA et à la robotisation

De la répartition : 

Mais revenons à la problématique de l’économie politique dans ce monde en transformation où le temps de travail humain sera réduit et où nous produirons une grande quantité de biens et services sans besoin de beaucoup de ce travail.

6° La répartition du temps de travail.

Ce temps libéré pour produire peut être assimilé à une réduction du temps de travail pour produire une même quantité de biens. Du point de vue de la théorie économique, la réduction de la part du facteur travail dans le processus de production va permettre d’extraire, au moins et souvent beaucoup plus, de valeur.

C’est cette “extraction de valeur” qui permet, par le moyen du profit comme rémunération du capital, d’alimenter l’investissement ou l’innovation, ce qui est réalisé par le capitaliste, ou par celui qui détient le capital. Le capital étant en partie compris comme le moyen de réaliser l’investissement productif, quelle que soit l’origine financière de cet investissement, banques, État, individus.

Mais la totalité de cette valeur extraite ne sert pas seulement à investir, elle sert aussi à conserver la motivation du capitaliste, quel qu’il soit, individus ou organisations détenues par des individus, ou même d’autres organisations, en le rémunérant. 

Il est alors clair que la valeur extraite est de plus en plus importante et que, selon les stratégies de développement capitaliste utilisées, le capitaliste, quel qu’il soit, peut alors accroître de façon considérable sa rémunération personnelle. Et c’est ce qui se passe actuellement avec un capitalisme d’hommes, ou d’organisations, devenus considérablement riches.

Une autre conséquence de cette économie de temps est que, de fait, elle libère aussi du temps de travail, temps de travail qui peut être converti en loisirs ou en production d’autres biens et services.
Se pose alors la question de la répartition entre temps de travail et de loisir.

* Extraction de la valeur :  c’est à dire ici le profit. La valeur extraite c’est ce qui reste quand on a déduit tous les coûts nécessaires à la production d’un bien ou service.

7° La nécessaire consommation de l’offre.

L’offre produite doit être consommée. Un principe d’équilibre veut que les produits et services mis à disposition soient bien consommés par un consommateur solvable. S’il y a surproduction, même décarbonée,  il y a crise, effondrement des prix dans un premier temps, puis effondrement de la production ensuite, ce qui détruit des emplois et du capital, sous la forme d’une crise économique.
Il faut donc impérativement une demande solvable.

La diminution du temps de travail humain pour produire une quantité de biens et services satisfaisant les besoins humains n’est pas un problème si la répartition de la valeur extraite permet aux humains de vivre correctement en consommant les biens et services produits. 

Ce qui est aussi une nécessité politique et sociale qui évite un conflit majeur, lui aussi politique et social.  Il ne faut pas, non plus, compter sur une diminution de la population assez rapide pour résoudre cette question.

8° L’appropriation de la valeur extraite par le capital.

Aujourd’hui donc, principalement, cette valeur extraite revient au capital.
Et de fait, le facteur travail tend à s’appauvrir aujourd’hui. Les écarts de fortune, incluant revenu, rente et revenu du capital, s’accroissent de façon considérable entre les plus riches et les plus pauvres. Les classes intermédiaires même relativement hautes s’appauvrissent.
Une part croissante des populations n’ont même plus les moyens de vivre selon un standard de consommation consensuel, dans les pays les plus développés comme dans les plus pauvres.
 
Il devient donc nécessaire que cette valeur extraite soit affectée également à un transfert social, par exemple par les impôts et les prestations sociales.
Cette façon de faire permet de maintenir une demande solvable qui équilibre les marchés, tout en satisfaisant les besoins des individus.
Ce qui permet de supprimer du temps du facteur travail en continuant à rémunérer les consommateurs de telle façon qu’ils puissent acquérir les biens et services produits. 

Ce modèle est déjà à l’œuvre depuis la fin de la seconde guerre mondiale principalement dans nos économies européennes, mais la diminution de la part de travail humain nécessaire va en changer fondamentalement les équilibres. 

La distribution directe d’argent dite “hélicoptère”, ou l’attribution d’un revenu universel, vont devenir un enjeu de survie du capitalisme pour ne pas sombrer dans la révolution sociale, l’appauvrissement généralisé ou l’effondrement inégalitaire et autoritaire de la société.

9° La répartition utile de la richesse

Il faut donc déterminer une répartition “utile” de la richesse.
Cette répartition “utile”, c’est celle qui permet d’équilibrer la rémunération de la force de travail humaine et celle du capital. De telle façon qu’il soit toujours intéressant d’investir et qu’il soit permis aux individus de vivre, en respectant leurs besoins vitaux et secondaires, mais aussi d’équilibrer l’offre et la demande sur un marché , et de garantir la  consommation des produits et services par des consommateurs solvables. Or,  cette capacité nous est donnée avec la sur-rémunération du facteur capital issue de la diminution du facteur travail.

Il faut aussi intégrer dans nos modèles le temps long. Nous ne pourrons pas, par exemple, développer et assurer une transition climatique si les acteurs n’ont pas les moyens de la financer dans le temps. C’est vrai pour la construction, la mobilité, l’énergie durable,… inscrits dans le temps long, plus de 5 ou 10 ans et souvent 20 ou 30 ans.

Cette extraction de valeur doit aussi permettre le respect des limites planétaires** et assurer la survie de l’espèce humaine.  (Transition climatique et biodiversité incluses)

Il est donc nécessaire d’intégrer dans cette économie politique la contrainte des limites. La taxe carbone et les incitations économiques liées à la décarbonation imposées par les États ne sont qu’une partie utile mais insuffisante de cette intégration des limites dans l’économie.

**Les limites planétaires (Planetary Boundaries) identifient neuf processus systémiques essentiels à la stabilité de la Terre et définissent des « seuils » que l’humanité ne devrait pas dépasser si elle veut éviter des changements environnementaux brutaux et dangereux. 

10 ° La mise en cause des paradigmes économiques actuels.

Les paradigmes économiques actuels ne permettent pas d’assurer cette évolution, les principaux en  sont les suivants :

  • Le principe qui repose sur la croyance en notre capacité à produire indéfiniment, sans tenir compte des limites planétaires, physiques , ressources, biodiversité , et de la capacité des écosystèmes à absorber la dégradation des environnements… 7 limites planétaires largement dépassées pour 9 limites recensées.

  • Celui de la recherche d’une économie de la performance et non de la robustesse. Recherche permanente de la compétitivité aux dépens du temps long, de la capacité à résister et absorber les crises…. Notamment par exemple en définanciarisant une grande partie de l’économie. Notamment là où les enjeux concernant les limites planétaires sont en cause.

  • Enfin le principe des équilibres de marché portés par la recherche de la maximisation des profits sans contraintes, sans prise en compte de la dette écologique par exemple.
    Ces équilibres ne peuvent reposer sur l’absolue liberté individuelle. Cette limitation, réglementation, doit permettre une véritable orientation de l’économie, tout en laissant l’initiative privée agir. Nos sociétés sont déjà en partie mixtes de ce point de vue, mais il faut changer les paramètres de ce modèle.

Conclusion :

Toute économie politique porte sur la création de la valeur et sa répartition. En effet c’est de la répartition que l’économie et les sociétés tirent leur équilibre global et c’est par les mécanismes économiques de la création de valeur qu’elles tirent leur richesse.

Les conditions actuelles dans lesquelles cette valeur est créée et dans lesquelles elle est répartie structurent radicalement, à la fois notre système économique et notre système social. De ce point de vue, le système politique n’est pas neutre, la façon dont le pouvoir est exercé a un impact fort sur la vie des sociétés autant sur le développement de leur économie que sur le développement humain.

Nous proposons donc par la force du pouvoir démocratique et par la force des réalités physiques qui s’imposent et s’imposeront à nous, de trouver une voie qui permettra de ne pas verser dans une vision réductrice, autoritaire et destructrice de notre avenir commun, vision que j’ai appellée l’ordre noir. (Voir mon article à ce sujet : L’ordre noir, où allons nous ? )

Selon les principes évoqués, que nous développerons plus tard dans un essai plus complet, nous proposons, en intégrant les changements de paradigme envisagés au neuvième point, de tracer la voie vers une économie politique renouvelée et porteuse d’espoir et de solutions pour notre avenir commun.

Paul de l’isle, Nov


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