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ToggleDe la manipulation Part 2 : De l’ingénierie sociale.
Nous allons maintenant continuer notre étude sur les techniques de manipulation globales. Nous avons appelé cette deuxième partie « l’ingénierie sociale ».
L’avènement des techniques globales de manipulation en politique. L’ingénierie sociale. (suite)
Des techniques de communication.
Théorie de la communication et Claude Shannon
La théorie de la communication, développée par Claude Shannon, souvent considéré comme le père de la théorie de l’information est à l’origine un cadre mathématique pour comprendre et quantifier la transmission de l’information.
Dans un article de 1948 intitulé “Une théorie mathématiques de la communication “ Claude Shannon a introduit des concepts clés comme l’entropie (la quantité d’information moyenne d’un message), le bruit, la redondance et la capacité d’un canal de communication. Son modèle de communication, bien que technique basé sur les probabilités, a eu une influence majeure sur des domaines variés, allant des télécommunications à la psychologie en passant par la linguistique.
La théorie de Shannon n’a pas été conçue pour développer des stratégies de manipulation. Elle vise plutôt à optimiser la transmission de l’information en minimisant les pertes et les erreurs dues au bruit ou à d’autres perturbations. Mais elle est une des premières théories conduisant à la possibilité d’une manipulation globale de l’information.
Voici une représentation graphique simplifiée de la théorie de l’information de Shannon :
📤 Source → 🖥 Encodeur → 📡 Canal (📢 Bruit) → 🖥 Décodeur → 📥 Destinataire
Les éléments intervenant dans la description de la chaîne de communication.
- Source : L’origine du message (par exemple, une personne, un média).
- Encodeur : Le dispositif ou le processus qui transforme le message en un signal transmissible (par exemple, la parole, le texte, les images). L’encodeur comme le décodeur, peuvent avoir un impact sur la compréhension
- Canal : Le médium par lequel le signal est transmis (par exemple, l’air pour la parole, Internet pour les données numériques).
- Décodeur : Le dispositif ou le processus qui interprète le signal pour le rendre compréhensible au destinataire.Ce dispositif lui-même peut avoir un impact sur la compréhension
- Destinataire : La personne ou l’entité qui reçoit et interprète le message.
- Bruit : Toute interférence qui peut altérer la transmission du message (par exemple, des distractions, des erreurs de transmission). C’est un élément très important, le bruit amène l’affaiblissement du message, son entropie.
Comment la théorie de la communication pourrait être utilisée pour la manipulation
Dans sa théorie Shannon, décrit un émetteur et un récepteur, la communication est alors le message qui circule entre les deux. Nous comprenons intuitivement que la qualité de la compréhension par le récepteur peut être altérée selon le mode de communication, voix, image, la distance, le bruit environnant, la force avec laquelle le message est envoyé, le nombre de fois où il est répété.
Essayez de parler avec votre chauffeur de taxi en plein Paris embouteillée, crier un message à votre amie sur un quai alors que le train s’éloigne et vous comprendrez toutes ces difficultés. Shannon en a fait un modèle mathématique.
En comprenant comment l’information est transmise et reçue, un manipulateur peut choisir de limiter ou de filtrer certaines informations pour influencer la perception du récepteur. Par exemple, en réduisant la redondance, on peut rendre un message plus difficile à interpréter correctement, créant ainsi une ambiguïté propice à la manipulation.
- Utilisation du bruit : Le bruit dans la communication peut être intentionnellement introduit pour brouiller un message ou distraire le récepteur. Par exemple, dans les campagnes de désinformation, l’ajout de fausses informations (bruit) peut noyer les faits réels et semer la confusion.
- Manipulation de l’entropie : L’entropie, dans la théorie de Shannon, mesure l’incertitude ou la complexité de l’information. Un manipulateur peut augmenter l’entropie d’un message pour le rendre plus difficile à décoder, ou au contraire la réduire pour simplifier un message et le rendre plus persuasif (par exemple, en utilisant des slogans simples et répétitifs).
- Canal de communication : Le choix du canal de communication (oral, écrit, visuel, numérique) peut influencer la réception du message. Un manipulateur peut choisir un canal qui maximise l’impact émotionnel ou minimise la capacité critique du récepteur (par exemple, les réseaux sociaux où l’information circule rapidement sans vérification).
- Redondance et répétition : La redondance, dans la théorie de Shannon, est utilisée pour renforcer la fiabilité de la transmission. Dans un contexte de manipulation, la répétition d’un message (même faux) peut créer une illusion de vérité (effet de vérité illusoire).
Nous avons donc là les éléments qui vont permettre la mise en place et le développement de vrais manipulations globales, la gestion du bruit et de l’entropie, la redondance et la répétition.
Techniques de négociation, la stratégie de l’éléphant dans la pièce.
Il faut aussi une stratégie globale d’affrontement soft, telle que celles utilisées par les commerçants, obtenir ce qu’on veut sans avoir à faire vraiment la guerre, la négociation.
La technique de négociation est un art manipulatoire, son objectif est d’obtenir un accord autour d’une question, commercialement d’un achat/vente, politiquement de décrocher un accord, un vote, une négociation sur des bases choisies.
La négociation commerciale est spécifique, elle se réalise dans un processus où deux parties cherchent à parvenir à un accord mutuellement bénéfique. Elle vise à maximiser ses gains en tentant de garder une relation satisfaisante pour d’éventuelles autres négociations par exemple, ou la réussite de l’accord.
En politique, la négociation n’a pas tout à fait les mêmes enjeux, au niveau national ou international, elle vise à régler un conflit , à instaurer un rapport de sujétion, à sortir d’une impasse fut-elle militaire.
On dénombre quelques techniques de négociation commerciales, ou sociales qu’on caractérise par des slogans type comme :
- Le “Win-Win” (Gagnant-Gagnant) qui a pour objectif de trouver une solution satisfaisante pour les deux parties. recherche d’un équilibre et du sentiment d’être gagnant.
En politique cela donne « Ce texte est équilibré et il reflète les positions des parties. ….. Ce n’est pas un accord parfait, mais c’est un accord ambitieux et nécessaire pour le bien de la planète et des peuples. » Laurent Fabius à la COP21 de Paris. - La technique du “Pied dans la porte”, qui vise à obtenir un accord sur une demande réduite ou échantillon.
« L’Europe s’est toujours construite par étapes. D’abord le dialogue, puis la coopération, ensuite la convergence de nos valeurs et de nos marchés. Nous n’imposons rien, nous offrons des opportunités. ….Aujourd’hui, nous accueillons des partenaires qui ont déjà commencé ce chemin avec nous depuis plusieurs années. Ils ont prouvé leur engagement. » Romano Prodi, Président de la commission Européenne 2002. les pays , pologne, Hongrie,.. sont devenus adhérents en 2004. - La technique de l’Ancrage, qui se résume à fixer la barre très haut pour ouvrir le champ d’une négociation qui sera la plus avantageuse possible.
« Nous avons posé un cadre clair : la préservation du marché unique et l’absence de frontière dure en Irlande sont non négociables. Le Royaume-Uni doit choisir entre rester aligné sur nos règles ou prendre le risque de barrières commerciales. Ce n’est pas une punition… » Michel Barnier lors de la négociation du Brexit, sur la question du « Backstop », 2018 - La technique de la Porte au Nez, refuser la négociation, demander une condition impossible, ou très exagérée pour revenir à une proposition plus raisonnable.
Henry Paulson au congrès américain en 2008, « Si nous n’agissons pas immédiatement, notre système financier risque de s’effondrer, avec des conséquences catastrophiques pour l’économie américaine. Nous avons besoin d’un programme de 700 milliards de dollars, sans délai et sans entraves, pour restaurer la confiance et éviter un désastre. ». Après le refus du congrès il fera passer une série de mesure moins drastiques et qui suffiront.
Plus récemment Donald Trump nous à dit : “Nous allons augmenter les droits de douanes de 50%”
Il y a bien d’autres techniques manipulatoires comme par exemple le silence, qui va obliger votre interlocuteur à reprendre la main et à faire une contre-proposition qu’il estimera proche de la votre. Pour accélérer une décision la technique des fausses options ou de l’ultimatum, “Il ne reste que 2 exemplaires à ce prix !”
Nous pouvons donc utiliser ces techniques pour manipuler nos interlocuteurs. Aujourd’hui l’éléphant dans la pièce ou dans le magasin de porcelaine, c’est Trump qui utilise la stratégie de “la porte dans le nez” , “Monsieur Zelinsky vous n’avez pas les cartes, vous ne voulez pas arrêter la guerre” ou celle de “l’ancrage”, “les gouvernements européens doivent porter leurs dépenses de défense à 5% de leur PIB”, pour mémoire les USA eux-même ne sont qu’à 3,5%.
“Propaganda” d’Edward Bernays ou la manipulation au service des relations publiques.
Edward Bernays, souvent considéré comme le père des relations publiques modernes, a joué un rôle central dans le développement des techniques de persuasion et de manipulation de masse au XXe siècle. Son livre Propaganda (1928) et ses travaux sur les relations publiques ont jeté les bases de la communication de masse, du marketing et de la manipulation de l’opinion publique. Bernays s’est inspiré des théories de son oncle, Sigmund Freud, sur la psychologie des foules et l’inconscient, pour façonner des stratégies visant à influencer les comportements et les attitudes du public.
Contexte et idées clés de Propaganda
Aux états-unis qui entrent en guerre en 1917, le gouvernement crée le Committee on Public Information (CPI) , chargé de préparer et d’inciter le peuple américain à entrer dans la guerre et accepter les efforts de guerre. E. Bernays y participe un peu et va constater les effets de la « propagande » sur l’opinion publique. Cela va lui donner les premières idées qu’il développera par la suite. De plus , il est le neveu de Sigmund Freud et admirateur de ses théories , sur le désir, l’inconscient, la psychologie des masses…
Dans Propaganda Edward Bernays parle du “gouvernement invisible ».
Il explique que l’opinion publique est dirigée, orientée , influencée, par un petit nombre de personnes, une élite, qui la modèle et la contrôle, bien souvent sans que les individus ne s’en rendent compte.
Partant de l’idée de cette influence cachée , Bernays va développer sa théorie.
Il soutient que la manipulation de l’opinion publique est à la fois nécessaire et bénéfique pour une société démocratique. Selon lui, les masses sont irrationnelles et facilement influençables, et il appartient à une élite éclairée, les « ingénieurs du consentement », de guider leurs pensées et leurs actions pour le bien commun. Voici quelques idées clés de son ouvrage :
- La manipulation comme outil de gouvernance : Bernays affirme que la propagande (au sens de communication persuasive) est essentielle pour maintenir l’ordre social et promouvoir des idées ou des produits. Il considère que les leaders politiques, économiques et culturels doivent utiliser ces techniques pour orienter l’opinion publique.
- L’utilisation de l’inconscient : Inspiré par Freud, Bernays croit que les décisions humaines sont largement influencées par des désirs et des peurs inconscients. En jouant sur ces émotions, il est possible de manipuler les comportements sans que les individus en aient conscience.
- Les relations publiques comme outil de persuasion : Bernays a popularisé l’idée que les entreprises et les gouvernements doivent façonner leur image et leurs messages pour influencer l’opinion publique. Il a utilisé des techniques comme le storytelling, l’association d’idées et l’utilisation de figures d’autorité pour créer des campagnes persuasives.
- La création de besoins : Bernays a démontré que la publicité et les relations publiques pouvaient créer de nouveaux besoins chez les consommateurs. Par exemple, dans une campagne célèbre, il a associé les cigarettes à l’émancipation des femmes (« Torches of Freedom »).
Exemples d’applications des théories de E.Bernays (reprise dans son livre essentiellement)
Bernays a mis ses théories en pratique dans de nombreuses campagnes qui ont marqué l’histoire de la publicité et des relations publiques. Voici quelques exemples :
- Campagne pour l’industrie du tabac : En liant la cigarette à des valeurs de liberté et d’émancipation des femmes, Bernays a réussi à briser un tabou social et à augmenter les ventes de cigarettes auprès des femmes.
- Promotion du bacon dans le petit-déjeuner américain : En collaborant avec des médecins pour vanter les mérites d’un petit-déjeuner copieux, Bernays a popularisé la consommation de bacon aux États-Unis.
- Soutien à des causes politiques : Bernays a également travaillé pour des gouvernements, comme lors du coup d’État au Guatemala en 1954, où il a aidé à façonner l’opinion publique en faveur des intérêts américains.
E.Bernays et la théorie de la communication.
Les travaux de Bernays peuvent être reliés à la théorie de la communication de Shannon, bien que leurs objectifs soient très différents. Alors que Shannon se concentrait sur la transmission efficace de l’information, Bernays s’intéressait à la manière dont l’information pouvait être utilisée pour influencer les comportements. Par exemple :
- Canal de communication : Il a compris l’importance de choisir les bons canaux (médias, leaders d’opinion) pour maximiser l’impact d’un message.
- Bruit et redondance : En créant des messages simples et répétitifs, Bernays a su contourner le « bruit » et s’assurer que ses idées étaient bien reçues.
- Feedback : Bernays a également utilisé des techniques pour mesurer l’impact de ses campagnes, une forme primitive de feedback.
Edward Bernays a révolutionné la manière dont les gouvernements, les entreprises et les organisations communiquent avec le public. Ses techniques de persuasion, bien que controversées, restent largement utilisées aujourd’hui dans le marketing, la politique et les relations publiques.
La linguistique et analyse des discours politiques.
La linguistique et l’analyse des discours politiques sont des domaines interdisciplinaires qui étudient comment le langage est utilisé dans les contextes politiques pour influencer, persuader, manipuler ou structurer les relations de pouvoir. Cette analyse permet de décrypter les stratégies rhétoriques, les cadres narratifs et les idéologies sous-jacentes dans les discours des leaders politiques, des partis ou des médias.
Quelques concepts clés en analyse du discours politique.
Lorsque l’on veut analyser les discours politiques il faut utiliser des techniques d’analyse. Nous avons globalement, après les études de Noam Chomsky, défini une suite d’outils d’analyse des discours politiques. Nous vous proposons un résumé des principaux utilisés aujourd’hui.
- La pragmatique ou recherche des usages en contexte: Étudie comment les énoncés de langage sont utilisés, en contexte, pour produire des effets spécifiques. Les promesses vagues , »Nous ferons mieux », qui permettent de s’engager sans s’engager. Les « Nous partageons ce souci » qui vous rapproche de vos interlocuteurs. « Vous avez raison », rassure vos interlocuteurs et vous permet de changer de sujet ou même de contredire.
- Les actes de langage : C’est-à-dire les énoncés qui accomplissent une action, promettre, menacer, s’excuser, sans jamais être impliqués ou qu’ils soient un jour réalisés. « Je promets de réduire les impôts » est un acte de langage apparemment engageant.; c’est l’adage « les promesses n’engagent que celui (ceux) qui les écoute. »
- Les cadres narratifs (framing) ou la mise en contexte : En présentant le problème sous son meilleur angle on peut en influencer sa perception. Présenter une réforme comme « nécessaire », « simple et utile » ou « profitable » plutôt que « douloureuse », « difficile » et « complexe » .
Nous sommes proches de la langue de bois ou du politiquement correct. - Les présupposés ou sous-entendus : Les informations implicites dans un discours, considérées comme acquises. « Nous devons lutter contre l’immigration illégale » présuppose que l’immigration illégale est un problème.
- Les métaphores : Utiliser un langage fort, ou excessif pour parler d’une question sensible. L’utilisation d’images pour simplifier ou dramatiser une idée. « L’économie de guerre » , » l’invasion des immigrants », « le grand remplacement ».
- Les pronoms et la deixis (Créer une proximité ou une distance): L’utilisation des pronoms (« nous », « ils », « vous ») pour inclure ou exclure des groupes. « Nous, le peuple » crée un sentiment d’appartenance, tandis que « eux, les élites » divisent.
Ils créent une fausse empathie avec vos interlocuteurs et rejettent les autres. - Les topoï (lieux communs) : L’utilisation de phrase populaire, utilisée abondamment dans tous les contextes, font appel au sens commun comme arguments récurrents dans un discours. « Il faut serrer la ceinture en temps de crise » est un topos économique. « Il faut aller de l’avant », « ne pas vivre dans le passé », topos d’encouragement.
Stratégies rhétoriques courantes
Depuis très longtemps, revenir au moins à la Grèce antique, on sait que le discours politique s’appuie sur des archétypes de langage très connus. Les penseurs grecs distinguaient trois cibles psychologiques ou trois appels courants en politique: l’ethos, le pathos et le logos.
- L’ethos : utiliser ou cibler l’ethos c’est construire une image de crédibilité et de respectabilité. En premier lieu, il faut inspirer confiance. Se situer comme intègre, honnête. Un leader se présente comme « homme du peuple honnête ».
- Le pathos : Cette fois il s’agit de faire vibrer ses interlocuteurs en faisant appel aux émotions pour persuader. Ainsi une histoire personnelle, ou un fait divers tragiques sont utilisés pour justifier une politique. Compassion, détestation, peur…
- Le logos : Il faut aussi sembler être vrai et donc utiliser des arguments rationnels ou des données pour convaincre. Citer des statistiques pour appuyer une réforme. Utiliser un fait apparemment incontestable. Ici les stratagèmes de Schopenhauer seront aussi les bienvenus.
On peut ajouter deux techniques habituelles dont les schéma de locution sont connus, polarisation et répétition.
- La polarisation : Principe de base des séquences politiques dont nous avons parlé dans notre première partie. Diviser le discours entre « nous » (les bons) et « eux » (les méchants). « Nous défendons les travailleurs, eux ne pensent qu’aux riches. »
- La répétition : La technique du slogan qui mille fois répété devient un marqueur, le grave dans les esprits. Les slogans politiques (« Yes We Can », « Make America Great Again »). Mais nous avons vu également que la répétition tend à accroître la perception du vrai.
Applications de l’analyse du discours politique.
On distingue alors plusieurs types d’analyse discursives :
- Analyse lexicale : Étudier les choix de mots et leur fréquence pour identifier les thèmes dominants et les intentions sous-jacentes. Par exemple, l’utilisation répétée du mot « sécurité » peut révéler une focalisation sur les questions de sûreté. Techniquement on utilise des outils statistiques, des techniques heuristiques , nuage de mots, graphe de relations.
- Analyse des cadres narratifs (framing analysis) : Cette technique permet d’examiner comment un problème est introduit et encadré. C’est l’analyse de la description et des termes utilisés pour expliquer, cadrer, la question évoquée. Par exemple, un discours sur l’environnement peut être cadré par les termes « crise », « catastrophe » ou de « responsabilité collective », « engagement national ».
- Analyse des actes de langage : Comme vu ci-dessus en identifiant les intentions derrière les énoncés , promesses, menaces, déclarations, on peut décrypter leurs effets potentiels sur l’auditoire et voir à quel besoin, désir, haine, conscient ou non ils répondent.
- Analyse des présupposés : Technique très intéressante car elle permet souvent de découvrir la face cachée d’un discours, ce qui est laissé délibérément hors champs pour ne pas avoir à le dire clairement. Par exemple, dire « Nous devons protéger nos frontières » présuppose que les frontières sont menacées et qui ne veut pas protéger ses frontières ? Dire « nos frontières sont menacées », dés lors qu’une attaque imminente n’est pas annoncée, obligerait a plus d’explications risquées, par qui, quand , comment. L’objectivité du fait serait alors plus facile à mettre en cause.
- Analyse des figures de style : Il y a de multiples figures de style, métaphores, euphémisme, l’ironie, la litote, l’hyperbole, la répétition… Elles permettent de laisser le champ libre à l’imagination, et au biais de confirmation, des individus. Qui vont eux-mêmes entendre leur vérité sur le sujet, là où des mots paraîtraient plus imprécis, voire incomplets. Par exemple, la métaphore du « navire de l’État » suggère que le pays doit être dirigé avec fermeté.
- Analyse des stratégies de légitimation : Toutes les affirmations fortes demandent à en expliquer les raisons fondamentales. Répondre par avance aux questions des individus en les conduisant dans le type de justification voulues est très important,… pour les empêcher de réfléchir le plus possible.
Examiner comment les politiciens justifient leurs actions ou leurs politiques par l’autorité, la moralité, la rationalité, etc. en dit long sur leurs véritables intentions et sur les moyens qu’ils comptent utiliser.
Les objectifs de cet analyse :
Toutes ces analyses et travaux servent à comprendre le discours, sa portée, son sens caché, ses objectifs poursuivis et ses buts premiers. Nous pouvons regrouper ces objectifs autour de trois prises de connaissance et d’une compréhension de l’usage des médias, médium. Comprendre et étudier la cible visée et, ou atteinte, les retours , la perception externe du discours.
- Permettre de décrypter les idéologies : Identifier les valeurs et les croyances sous-jacentes dans un discours. Analyser comment un discours nationaliste met l’accent sur la souveraineté et l’identité. ou centriste sur l’économie, les valeurs individuelles…
- Comprendre les stratégies de persuasion : Étudier comment les leaders politiques cherchent à convaincre leur public. Analyser les discours de campagne pour identifier les thèmes récurrents.
- Établir les relations de pouvoir suggérées: En examinant comment le langage renforce ou conteste les structures de pouvoir, Etat, Assemblée, Education national ,…. Il s’agit d’analyser comment un discours justifie une politique autoritaire, ou au contraire renforçant par exemple la démocratie.
- Analyser les médias : Étudier comment les médias relaient ou interprètent les discours politiques. Mesurer l’impact réel par cible atteinte, l’entropie ou effets de bruit générés…
Analyser la portée externe, internationale ou hors des premiers périmètres, par exemple en comparant la couverture médiatique d’un même discours dans différents pays, régions…
L’analyse du discours politique permet de décrypter les stratégies linguistiques et rhétoriques utilisées pour influencer l’opinion publique.
En étudiant ces techniques, on peut mieux comprendre comment le langage façonne les perceptions, renforce les idéologies et structure les relations de pouvoir. Cette approche est essentielle pour développer un esprit critique face aux discours politiques et médiatiques.
Les moyens et les résultats de la manipulation (Des outils moderne de manipulations)
Après l’étude en partie 1 et jusqu’ici en partie 2 , nous avons expliqué les bases psychologiques et les stratégies et moyens de la manipulation individuelle et de masse. Nous avons affiné notre compréhension des outils qui permettent de mettre à jour toutes les formes de manipulation dans le langage et le discours politique.
Intéressons nous aux autres techniques les plus modernes et à leurs résultats étonnants.
De la propagande au nudging, mille techniques de manipulation “douce”
La manipulation des masses a évolué depuis les techniques assez directes et invasives, de la propagande classique (comme celles d’Edward Bernays) vers des méthodes encore plus subtiles et indirectes. Ces approches dites « douces » visent à influencer les comportements sans restreindre les choix individuels, tout en exploitant les biais cognitifs et les mécanismes psychologiques. Voici quelques-unes de ces techniques :
- Le nudging (coup de pouce) utilise des incitations subtiles pour guider les décisions sans imposer de restrictions. Inspiré de l’économie comportementale (Richard Thaler et Cass Sunstein), il repose sur des biais cognitifs comme l’effet de choix par défaut ou de conformité aux normes sociales. Par exemple, placer des aliments sains à hauteur des yeux dans une cafétéria pour encourager une alimentation équilibrée.
- Le priming (amorçage) consiste à exposer les individus à des stimuli subtils qui influencent leurs comportements ou décisions ultérieures. Par exemple, montrer des images de luxe peut inciter les gens à dépenser plus, ou utiliser un langage spécifique peut orienter les opinions politiques. Le même raisonnement se tient avec la guerre, le racisme, ..
- Le framing (cadrage) est un principe déjà exposé plus haut, qui consiste à présenter une information de manière à influencer sa perception. Par exemple, dire « 90 % de survie » plutôt que « 10 % de mortalité » pour un traitement médical rend l’option plus attractive. Cette technique est largement utilisée en marketing et en communication politique.
- L’ingénierie sociale (social engineering) vise à manipuler les interactions sociales pour influencer les comportements. Par exemple, les réseaux sociaux utilisent des algorithmes pour créer des bulles informationnelles, renforçant les croyances existantes et polarisant les opinions.
- La personnalisation de masse permet aux plateformes numériques, grâce à l’analyse des données, de personnaliser les messages pour chaque individu. Cette technique exploite les préférences et les comportements passés pour maximiser l’impact des campagnes publicitaires ou politiques.
- L’effet de rareté, peut être moins utilisé en politique, vise à créer un sentiment d’urgence en suggérant qu’une opportunité est limitée. Par exemple, les messages « Plus que 3 chambres disponibles ! » ou « Offre valable aujourd’hui seulement » incitent à l’action immédiate.
- L’utilisation des normes sociales permet d’influencer les comportements en montrant ce que font les autres. Par exemple, afficher « 90 % des clients réutilisent leurs serviettes » pour encourager des pratiques écologiques.
- La gamification permet de transformer des activités ennuyeuses en jeux pour encourager la participation. Par exemple, les applications de fitness utilisent des défis et des récompenses pour motiver les utilisateurs à faire de l’exercice.
Les techniques modernes de manipulation douce, comme le nudging, le priming ou le framing, montrent que l’influence peut être à la fois subtile et puissante. Bien qu’elles soient souvent présentées comme respectueuses de la liberté individuelle, elles nécessitent une vigilance accrue pour préserver l’autonomie et l’intégrité des choix personnels.
Le Covid en France en 2020, comme exemple.
La gestion de la crise du Covid-19 en France en 2020 constitue un exemple éclairant de la fabrique du consentement.
Le gouvernement a mis en place des mesures exceptionnelles, comme le confinement strict accompagné de l’attestation de déplacement dérogatoire, contraignant chaque citoyen à justifier ses moindres déplacements et donc à consentir par lui-même a cette soumission à l’autorité. Que penser de cette idée de s’autoriser soi-même à sortir, alors que toute sortie est réglementée. Ce dispositif simple a instauré un contrôle symbolique fort, favorisant l’auto-surveillance et l’adhésion collective aux restrictions.
Pour légitimer ces décisions, le pouvoir politique fait appelle à une autorité scientifique et crée une commission ad-hoc, nommée par lui-même, le “Conseil scientifique”, donnant l’impression que les choix étaient purement techniques, alors qu’ils impliquaient des arbitrages politiques – par exemple, la fermeture des marchés en plein air pendant que les transports en commun restaient ouverts.
Les médias, quant à eux, ont largement relayé les discours officiels et les chiffres de la pandémie, en réduisant la visibilité des voix critiques. Cela a contribué à créer un climat d’unité apparente et à limiter le débat public.
Enfin, la rhétorique morale du gouvernement a déplacé la responsabilité vers les citoyens, culpabilisés s’ils ne respectaient pas les règles (« sauvez des vies », « restez chez vous »), occultant les failles du système de santé.
Ces mécanismes – contrôle, légitimation, uniformisation du discours, culpabilisation – ont permis d’obtenir un consentement large mais construit, non pas par le débat démocratique, mais par une stratégie de persuasion et de gestion des affects.
La Fabrique du consentement.
La Fabrique du consentement (Manufacturing Consent) est un ouvrage publié en 1988 par Noam Chomsky et Edward S. Herman. Il analyse comment les médias de masse fonctionnent dans les démocraties modernes pour modeler l’opinion publique en faveur des élites économiques et politiques.
Le modèle de propagande :
Chomsky et Herman développent un modèle en cinq filtres pour expliquer comment les médias mainstream sélectionnent et présentent l’information d’une manière qui sert les intérêts des puissants :
- La propriété des médias : Les grands médias appartiennent à de puissants groupes économiques, influençant ainsi leurs orientations éditoriales.
- La publicité comme source principale de revenus : Les annonceurs influencent le contenu en favorisant des sujets qui ne remettent pas en cause leurs intérêts.
- Les sources d’information : Les médias s’appuient sur des sources officielles (gouvernements, grandes entreprises), ce qui limite la diversité des perspectives.
- Les moyens de réponse et les représailles : Les voix dissidentes sont marginalisées par des critiques, des pressions financières ou juridiques.
- L’anticommunisme (ou idéologie dominante actuelle) : À l’époque de la Guerre froide, l’anticommunisme était un filtre structurant, mais d’autres idéologies ont pris le relais (antiterrorisme, néolibéralisme, etc.).
Les fabricants du consentement de la population :
Selon les auteurs, les médias ne remplissent pas leur rôle idéal de contre-pouvoir indépendant mais servent davantage à légitimer les politiques gouvernementales et les intérêts des élites dominantes, contribuant à « fabriquer » un consentement artificiel dans le public.
Il reste que nous le constatons, il y a une information Mainstream, partagée par de nombreux média , au même moment , sur le même sujet. Et donc la question de cette inféodation des médias à un discours commun , quels qu’en soient les mécanismes se pose.
Noam Chomsky et Edward S.Herman , dans “Bains de sang constructifs dans les faits et la propagande”, 1975, écrivent « La grande leçon en relations publiques donnée par la guerre du Vietnam, c’est (…) que le « grand mensonge » peut marcher en dépit de fuites occasionnelles dans une presse libre. (. . .) Avec le degré requis de coopération du côté des mass media et non sans un succès à peu près assuré, le gouvernement peut s’engager dans « la gestion des atrocités », par le simple poids des informations mises dans le circuit » (p. 31-32).
Nous en étions là dans les années 1980-90 lorsqu’est apparu un nouveau concept, visant à créer et à utiliser le chaos pour prendre le contrôle de peuples, ou du moins permettre à des juntes, ou cliques amis de prendre le pouvoir.
Peux t’on penser que les manipulations américaines, orchestrées par la CIA et dénoncées par Noam Chomsky et E.S.Herman notamment, pour déstabiliser des populations sont à l’origine de leur application aux démocraties occidentales ?
Durant la guerre froide , Russes et Américains ont eu tout loisir d’étudier et d’évaluer ces techniques, tout juste étaient-elles plutôt réservées aux pays non occidentaux jusque-là.
L’ingénierie du chaos.
Le concept
L’ingénierie du Chaos : Outils de manipulation.
L’ingénierie du chaos est une stratégie qui vise à semer le désordre, la confusion et la division pour affaiblir des adversaires, déstabiliser des systèmes ou contrôler des populations.
Créer du chaos génère un sentiment d’insécurité et de peur, il déstabilise ce qui semble bien implanté, il permet de rebattre les cartes, de faire évoluer les accords et les ententes, de bousculer les pouvoirs,… c’est le but recherché.
Pourquoi s’appuyer sur les extrêmes ?
Pour créer le chaos il faut s’appuyer sur les extrêmes sociologiques ou politiques car ils sont les plus à même d’avoir des réactions fortes et brutales.
Renforcer les identités extrêmes vise à pousser à la victimisation des ses communautés identitaires et ensuite à les pousser à une action violente, se révolter. Concrètement, il s’agit de favoriser le plus possible de mouvements, associations, aussi opposés et dissemblables que possible, et même complètement opposés à son idéologie peu importe.
Le Chaos favorise la diffusion de fausses nouvelles, qui à leur tour vont générer des pics d’émotions. Le chaos amplifie l’entropie et le bruit autour d’un message.
Le Chaos créé, celui qui défend l’ordre devient le protecteur et le sauveur. Dans le même effort il obtient alors la possibilité de mener des actions autoritaires approuvées par l’opinion publique.
Cette « ingénierie » , au sens qu’elle met en œuvre des techniques combinées pour un résultat visé, repose sur deux piliers principaux : la fabrique du mensonge et celle du dissentiment et utilise le principe de la “vérité alternative” pour crédibiliser ces actions. Ces trois mécanismes sont souvent utilisés de concert pour maximiser leur impact.
La fabrique du mensonge
La fabrique du mensonge consiste à produire et à diffuser délibérément des informations fausses ou trompeuses pour influencer les perceptions, les croyances et les comportements. Elle a aussi pour conséquence d’accroître le bruit selon les concepts de Claude Shannon. Ce faisant elle rend moins audible les messages et permet de maintenir dans le flou la vérité.
Les techniques utilisés :
- Désinformation :
Diffuser de fausses informations pour créer une réalité alternative. Par exemple, propager des rumeurs sur des fraudes électorales pour semer le doute sur la légitimité d’un scrutin. - Fausser les contextes :
Utiliser des informations vraies mais les présenter hors contexte pour leur donner un sens différent. Par exemple, partager une photo d’un événement ancien en prétendant qu’il est récent. - Théories du complot :
Créer ou amplifier des récits conspirationnistes pour susciter la méfiance envers les institutions ou les élites. Par exemple, la théorie QAnon accuse des groupes secrets de manipuler le monde. - DeepFakes et falsifications :
Utiliser des technologies pour créer des vidéos, des enregistrements audio ou des documents falsifiés mais réalistes. Par exemple, un DeepFake montrant un politicien tenant des propos qu’il n’a jamais tenus. - Saturation informationnelle :
Inonder l’espace public d’informations contradictoires pour rendre difficile la distinction entre le vrai et le faux (effet « firehose of falsehood »).
Objectifs de la fabrique du mensonge:
- Éroder la confiance : En semant le doute sur les sources d’information fiables (médias, experts, institutions).
- Créer une réalité alternative : Pour influencer les perceptions et justifier des actions ou des politiques.
- Déstabiliser les adversaires : En les forçant à consacrer des ressources à démentir les mensonges plutôt qu’à promouvoir leur propre agenda.
La vérité alternative, comme outil du chaos :
La « vérité alternative » (ou en anglais « alternative facts ») est une expression utilisée pour décrire une affirmation ou interprétation qui contredit les faits avérés ou les preuves objectives. Popularisée en 2017 par Kellyanne Conway, conseillère de Donald Trump, l’expression a rapidement été vue comme une tentative de relativiser ou de nier la réalité au profit d’une version plus favorable à une idéologie ou à une cause.
Origine du concept :
La notion apparaît dans un contexte politique où une affirmation factuellement fausse est présentée comme légitime. Le terme « vérité alternative » suggère trompeusement qu’il pourrait exister plusieurs réalités équivalentes, relativisant ainsi les faits objectifs.
Exemples célèbres :
- Investiture de Donald Trump (2017) :
Fait objectif : Des photos aériennes montrent clairement que la foule présente lors de l’investiture de Trump était bien moins nombreuse que celle présente lors de l’investiture d’Obama en 2009.
« Vérité alternative » avancée : L’équipe de Trump soutient malgré les preuves que cette investiture était la plus grande de l’histoire américaine.
- Déni climatique :
Fait objectif : Les études scientifiques montrent clairement que le changement climatique est dû en grande partie à l’activité humaine.
« Vérité alternative » avancée : Certains politiciens ou lobbies industriels affirment que ces changements sont « naturels », qu’ils ne sont pas démontrés scientifiquement, ou que les conséquences négatives sont exagérées.
- Covid-19 et fausses informations :
Fait objectif : Le Covid-19 est causé par le virus SARS-CoV-2.
« Vérité alternative » avancée : Certains groupes affirment que le virus n’existe pas, qu’il est une simple grippe sans danger, ou encore que les vaccins sont inefficaces voire dangereux.
Les mécanismes rhétoriques associés :
Voici les principaux mécanismes rhétoriques utilisés dans la construction et diffusion des « vérités alternatives » :
- La relativisation :
- « Tout le monde a droit à son opinion »
- « Il y a plusieurs façons de voir les choses »
- « Les scientifiques ne sont pas tous unanimes»
On présente les faits comme des opinions ou des perceptions.
Objectif : faire perdre à l’auditoire tout repère objectif, en suggérant que tous les points de vue se valent.
- La répétition constante :
- On répète l’idée fausse suffisamment pour qu’elle devienne familière et donc crédible (« effet de vérité illusoire »).
Objectif : habituer progressivement les auditeurs à une idée fausse jusqu’à ce qu’ils cessent de la remettre en question.
- L’émotion plutôt que la raison :
- Jouer sur la colère, la peur ou l’identité pour rendre un argument émotionnellement crédible.
Objectif : l’auditoire est plus réceptif à une affirmation qui confirme ses préjugés émotionnels ou ses peurs profondes.
- Discréditer les sources fiables :
- Attaque systématique des médias indépendants (« fake news », médias corrompus, complotisme).
- Dénigrement des scientifiques ou experts indépendants (« scientifiques achetés », « élites »,).
Objectif : retirer toute autorité aux sources capables de réfuter ces « vérités alternatives ».
- Les biais cognitifs exploités :
- Biais de confirmation : les gens préfèrent croire ce qui correspond déjà à leurs convictions, perception.
- Biais d’ancrage : le premier message reçu sur un sujet influence fortement la perception future.
- Biais du faux consensus : exagérer le nombre de personnes partageant l’opinion erronée pour renforcer son apparente validité.
- Biais de répétition, nous acceptons mieux les messages vus ou entendus fréquemment. Il permet de rendre présent dans les idées possibles les contre-vérités, et permet de profiter du biais d’opinion majoritaire ou de faux consensus.
Objectif : manipuler les biais cognitifs inconscients pour consolider une croyance fausse ou trompeuse.
La « vérité alternative » est une stratégie rhétorique visant à présenter des affirmations fausses ou biaisées comme des vérités valides. Elle exploite des biais cognitifs et psychologiques pour détourner l’attention des faits objectifs et influencer les perceptions du public.
La fabrique du dissentiment.
La création du dissentiment vise à exacerber les divisions sociales, politiques ou culturelles pour polariser les opinions et empêcher toute forme de consensus ou de dialogue. Elle repose sur les techniques suivantes :
Techniques de création du dissentiment
- Exploitation des clivages existants :
Amplifier les divisions déjà présentes dans une société (politiques, ethniques, religieuses, économiques) pour créer des oppositions binaires. Par exemple, opposer « le peuple » aux « élites ». - Polarisation des discours :
Présenter les débats de manière manichéenne (bien vs mal, nous vs eux) pour empêcher toute nuance et pousser les individus à se radicaliser. - Provocation de conflits identitaires :
Encourager les groupes à se définir par opposition aux autres, en exploitant des symboles, des slogans ou des récits émotionnels. Par exemple, utiliser des discours nationalistes pour exclure les minorités. - Création de boucs émissaires :
Désigner des groupes ou des individus comme responsables des problèmes (immigrants, élites, médias) pour canaliser la colère et la frustration. - Manipulation des émotions : Faire appel à des émotions fortes (peur, colère, indignation) pour mobiliser des groupes et les pousser à agir de manière irrationnelle ou extrême.
Objectifs de la création du dissentiment
- Affaiblir la cohésion sociale : En divisant les populations et en rendant difficile toute forme de collaboration ou de dialogue.
- Mobiliser des bases politiques : En exploitant la colère et la frustration pour renforcer le soutien à un leader ou à un mouvement.
- Justifier des actions autoritaires : En présentant le chaos et les divisions comme une raison de renforcer le contrôle ou de limiter les libertés.
L’ingénierie du chaos en action
L’ingénierie du chaos combine la fabrique du mensonge et la création du dissentiment pour maximiser son impact. Voici quelques exemples concrets :
- Ingérences électorales : Pendant les élections présidentielles américaines de 2016, des acteurs étrangers, probablement Russes, ont utilisé des bots, des trolls et des campagnes de désinformation pour polariser l’électorat et semer la confusion.
- Crises politiques :Dans certains pays, des acteurs politiques ou des groupes d’intérêt utilisent l’ingénierie du chaos pour déstabiliser des gouvernements ou justifier des coups d’État.
- Mouvements sociaux :Des groupes extrémistes ou des États peuvent exploiter des mouvements sociaux légitimes pour y infiltrer des messages de division ou de désinformation.
- Théories du complot :
La propagation de théories du complot (comme *QAnon) vise à créer un climat de méfiance envers les institutions et à mobiliser des groupes autour de récits alternatifs.
*QAnon : est une mouvance conspirationniste d’extrême droite venue des États-Unis, regroupant les promoteurs de théories du complot selon lesquelles une guerre secrète a lieu entre Donald Trump et des élites implantées dans le gouvernement (l’État profond ou Deep State), les milieux financiers et les médias, qui commettraient des crimes pédophiles, cannibales et sataniques
Conséquences de l’ingénierie du chaos
- Affaiblissement des démocraties : La désinformation et la polarisation sapent la confiance dans les institutions et les processus démocratiques.
- Montée des extrémismes : Les divisions exacerbées et les récits mensongers peuvent alimenter des mouvements extrémistes ou violents.
- Érosion de la vérité :Dans un monde où le vrai et le faux deviennent indiscernables, la notion même de vérité objective est remise en question.
- Fragmentation sociale : Les sociétés divisées par l’ingénierie du chaos ont du mal à trouver un terrain d’entente, ce qui peut conduire à des conflits sociaux ou politiques.
La fabrique du mensonge et la création du dissentiment sont les deux piliers de l’ingénierie du chaos, une stratégie de manipulation puissante et destructrice.
Le Big Data, la société Cambridge Analitica, et la manipulation personnalisée.
Le BIG DATA
Le terme « Big Data » fait référence à l’ensemble des techniques et des pratiques permettant de collecter, stocker et analyser d’immenses volumes de données. La promesse du Big Data réside dans sa capacité à en extraire des informations stratégiques et à faciliter la prise de décision, aussi bien pour les entreprises que pour les gouvernements ou les chercheurs. Toutefois, lorsque ces données concernent des individus (profils, comportements, habitudes, etc.), leur usage soulève d’importants enjeux éthiques et politiques, particulièrement en matière de respect de la vie privée et de risques de manipulation.
Cambridge Analytica : l’affaire qui a secoué le monde
Cambridge Analytica était une entreprise britannique spécialisée dans l’analyse de données et le marketing politique. Son rôle est devenu mondialement connu en 2018, à la suite du scandale autour de l’utilisation non autorisée des données de millions d’utilisateurs de Facebook.
Voici les principaux points à retenir .
Extraction massive de données :
Cambridge Analytica s’est procuré, via un questionnaire ludique sur Facebook (un quiz psychologique), les données personnelles de dizaines de millions d’utilisateurs.
Les gens ayant répondu au questionnaire donnaient accès, souvent sans en avoir pleinement conscience, à leurs informations mais aussi à celles de leurs amis Facebook.
Profilage et micro-ciblage :
À partir de ces données, Cambridge Analytica créait des profils psychologiques très détaillés des utilisateurs. Par exemple, ils pouvaient inférer des traits de personnalité (comme l’ouverture d’esprit, l’extraversion, etc.), des sensibilités politiques, religieuses ou encore des centres d’intérêt.
L’objectif était d’optimiser des campagnes de micro-ciblage (micro-targeting) : envoyer des messages politiques ou des publicités taillées sur mesure pour chaque catégorie d’électeurs, voire chaque individu.
Dans son livre sur la Propagande, David Colon écrit : “ Lors du référendum sur le Brexit, les équipes de Dominic Cummings ont ainsi identifié plusieurs millions de Britanniques inscrits sur les listes électorales mais n’ayant jamais voté et se sentant exclus, qui constituaient une formidable réserve de « persuadables» en faveur du Brexit. Elles ont ensuite eu recours à la physique, pour déterminer les moyens d’agir sur leur comportement… «Les lois de la physique s’appliquent aux comportements humains agrégés», explique Antonio Ereditato, directeur du Laboratory for High Energy Physics
Une fois ces lois déterminées, il s’agit … de déterminer quelles variations mêmes infimes des conditions initiales du système électoral peuvent produire des effets énormes sur son évolution. «Un système d’êtres humains qui interagissent entre eux, ajoute Antonio Ereditato, peut être un système chaotique au sein duquel, par exemple, une fake news peut être la petite modification initiale. qui produit d’énormes effets secondaires.» … En l’occurrence, la variation introduite fut le recours à des messages personnalisés faisant appel à l’émotion des «persuadables».
Plutôt que l’économie, c’est donc sur la peur de l’étranger -l’immigré, le réfugié, le Turc – que la campagne du Leave s’est appuyée.
David Colon , Propagande , La manipulation de masse dans le monde contemporain. Flammarion, Champs, 2021.
Influence politique :
Le scandale a éclaté quand on a découvert que ces méthodes avaient été utilisées dans plusieurs campagnes électorales, notamment la campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis et la campagne du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni.
Les messages diffusés pouvaient être très ciblés et parfois manipulateurs, visant à renforcer certaines croyances ou à faire changer d’avis un segment précis d’électeurs.
Enjeux éthiques et légaux :
Les données avaient été recueillies sans que les utilisateurs en aient une conscience claire.
Facebook a été accusé d’avoir failli à son devoir de contrôle et de protection des données personnelles.
Des enquêtes ont été menées aux États-Unis et au Royaume-Uni, et Facebook a dû payer d’importantes amendes.
L’affaire a mis en lumière la nécessité d’un encadrement légal plus strict (RGPD en Europe, discussions sur la régulation des GAFAM, etc.).
La manipulation personnalisée : comment fonctionne-t-elle ?
Lorsqu’on parle de « manipulation personnalisée » dans le contexte du Big Data, on désigne des méthodes visant à influer sur les opinions et le comportement des individus grâce à :
La personnalisation poussée :
Les algorithmes analysent le comportement en ligne (clics, likes, temps passé sur certains contenus), afin d’établir un profil très précis de l’utilisateur.
À partir de ce profil, il devient possible de proposer du contenu (publicités, articles, vidéos) spécifiquement conçu pour flatter les préjugés, confirmer les opinions ou, au contraire, semer le doute.
La puissance virale des réseaux sociaux :
Les plateformes comme Facebook, Twitter ou TikTok se nourrissent de la viralité des contenus, qui se partagent d’autant plus facilement qu’ils déclenchent des émotions fortes (colère, indignation, peur, joie).
Les « bulles de filtres » (filter bubbles) : en interagissant surtout avec des contenus qui nous plaisent ou nous confortent dans nos idées, on peut se retrouver isolé dans un univers d’informations biaisées, où la contradiction est peu visible.
La segmentation comportementale :
Au-delà de la simple segmentation démographique (âge, sexe, lieu de résidence), les annonceurs peuvent cibler les individus selon leurs préférences intimes (inclinations politiques, religieuses, valeurs personnelles, traits de personnalité).
Cette approche rend la publicité (ou le message politique) plus persuasive, car elle s’adapte à des mécanismes de persuasion pertinents pour chaque profil.
L’affaire Cambridge Analytica a agi comme un électrochoc, révélant à un large public l’ampleur des capacités de collecte de données personnelles et l’efficacité des stratégies de micro-ciblage. Elle a mis en lumière le pouvoir que peuvent détenir des entreprises privées ou des plateformes numériques lorsqu’elles maîtrisent l’accès aux données et les techniques de manipulation psychologique.
Bien que la collecte et l’analyse de données à grande échelle puissent servir des objectifs légitimes (prévoir des tendances, améliorer des services, lutter contre certaines formes de criminalité, etc.), le cas Cambridge Analytica illustre les dangers d’une utilisation abusive du Big Data. Face à ces risques, il est crucial d’imposer une plus grande transparence et une meilleure régulation, afin que la protection de la vie privée et la sauvegarde de l’intégrité du débat démocratique demeurent au cœur de la révolution numérique.
Des réseaux sociaux comme vecteur de manipulation,
Les fermes à trolls,
Un troll est un individu qui publie des messages provocateurs, hors sujet ou polémiques dans le but de semer la discorde, perturber une discussion ou susciter des réactions émotionnelles. Le trolling existe depuis les débuts d’Internet et se retrouve sur les forums, les réseaux sociaux, les sections de commentaires et même dans les jeux en ligne.
Les fermes à trolls sont des organisations ou des groupes de personnes travaillant de manière coordonnée pour diffuser de la désinformation, manipuler l’opinion publique ou perturber les discussions en ligne. Elles sont souvent financées par des entités privées, des partis politiques ou même des gouvernements.
Les fermes à trolls visent à diffuser des messages ciblés en utilisant des bots(robots) et des comptes multiples pour amplifier un discours. Mais aussi : la création de faux débats pour influencer l’opinion. ou des attaques coordonnées contre des personnes, des entreprises ou des groupes spécifiques.
Les fermes à trolls exploitent également les biais des algorithmes des réseaux sociaux, comme la recherche des clash (Conflits) pour maximiser la visibilité de leurs messages. L’utilisation massive de likes, partages et commentaires aide à propulser leurs contenus en tendance.
Il sont aussi spécialisés dans la désinformation et la manipulation par la diffusion de rumeurs ou de fausses nouvelles pour créer la confusion ou l’exagération et la déformation des faits pour influencer les perceptions. jusqu’à la falsification de preuves (images truquées, faux articles, etc.).
Le recours aux influenceurs:
Les ingénieures du chaos sont aussi adeptes de la mise en place d’influenceurs, soit en utilisant de faux comptes, soit en faisant la promotion d’influenceurs manipulables ou influençables qui vont faire la promotions d’idées , de fake news auprès de leur communauté et provoquer des clashs et polémiques les plus violentes possibles sur les réseaux sociaux.
On leur livre ainsi des kits de communication prés à l’emploi, incluant : vidéos, messages, éléments de langage., mots clés et # Hashtag ou @ et Url ad-hoc ..
Plus subtilement on leur donne des scoops qui n’en sont pas, l’accès à d’autres influenceurs plus connus, à des interviews exclusives auprès d’une autorité ou d’un affidé connu ou dont le discours est plutôt favorable.
La liste est donc grande des techniques et moyens déployés pour nous manipuler bien que ce ne soit pas l’apanage de notre époque.
Manipulations politiques dans l’histoire.
Dès l’antiquité.
La technique la plus simple utilisée en communication politique fut probablement la pièce de monnaie . En effet quel meilleur moyen pour diffuser son image, asseoir son pouvoir politique que de diffuser sur une pièce de monnaie son effigie. Sans compter l’aspect très pratique pour la datation offert aux historiens et anthropologues, il faut bien comprendre que ce fut très probablement le premier objet de manipulation des foules ; à la fois utile économiquement, sa fonction en apparence principale , et formidable moyen politique de diffusion du pouvoir par l’image du chef, lui garantissant au passage un souvenir dans l’histoire. Les nouvelles monnaies étaient frappées notamment au sacre des rois.
Quand César écrit la « Guerres des Gaules » , il ne fait pas seulement œuvre historique , il utilise son récit , pour justifier et faire financer ses campagnes, et se donner une image de puissance et de vainqueur.
Shakespeare , dans ces pièces , nous détaille mille manipulations. Richard III est une véritable démonstration, où Shakespeare peint un personnage rusé, machiavélique et sans scrupules. Richard III est un maître dans l’art de la tromperie, jouant sur les apparences et les émotions pour parvenir à ses fins. Il séduit, trahit et manipule avec une intelligence glaciale, s’attirant la confiance des uns tout en éliminant les autres.
Ce qui rend cette pièce fascinante, c’est la manière dont Richard III s’adresse directement au spectateur, dévoilant ses intentions et nous entraînant presque à sympathiser avec lui, malgré ses crimes. On retrouve là un exemple brillant de la capacité de Shakespeare à explorer la psychologie humaine et les jeux de pouvoir et son adresse à nous manipuler en tant que spectateur à notre tour.
Le Conseil au Prince de Machiavel et les spin-doctor de l’histoire
Les conseils de Machiavel pour manipuler l’opinion publique et les stratégies des spin doctors modernes révèlent des similitudes frappantes dans leur approche de la gestion de l’image et de la perception. Voici une analyse plus détaillée, avec des exemples concrets.
Les conseils de Machiavel pour manipuler l’opinion publique.
Dans Le Prince, Machiavel propose des stratégies pragmatiques pour qu’un dirigeant maintienne son pouvoir et influence l’opinion publique. Bien qu’il écrive au XVIe siècle, ses idées restent pertinentes aujourd’hui. Voici quelques-uns de ses conseils clés :
1° Paraître vertueux, même si on ne l’est pas.
Machiavel insiste sur l’importance de l’apparence. Un prince doit sembler juste, généreux et moral, même s’il agit de manière contraire en coulisses.
Un homme politique qui se présente comme un défenseur de la justice sociale tout en adoptant des politiques économiques favorisant les élites.
2° Utiliser la peur pour contrôler
Machiavel affirme qu’il est préférable d’être craint qu’aimé, car la peur est plus stable et prévisible que l’amour.
Les campagnes de communication qui exploitent les peurs (insécurité, terrorisme, crise économique) pour justifier des mesures autoritaires ou impopulaires.
3° Manipuler les symboles et les récits
Machiavel conseille d’utiliser des symboles et des récits pour renforcer l’image du prince. Par exemple, organiser des cérémonies ou des événements publics pour paraître puissant et légitime.
Les dirigeants qui utilisent des symboles patriotiques (drapeaux, hymnes) ou des événements médiatisés (visites de terrain, discours émouvants) pour renforcer leur image. Jeux Olympiques ?
4° Diviser pour mieux régner
Machiavel recommande de semer la division parmi les adversaires pour affaiblir leurs alliances et consolider son propre pouvoir.
Les rapprochements stratégiques qui visent à déstabiliser les alliances habituelles. Les campagnes électorales qui exploitent les divisions sociales (riches/pauvres, urbains/rural) pour mobiliser une base électorale.
Les stratégies des spin doctors modernes
Les spin doctors sont des experts en communication politique dont le rôle est de façonner l’image des dirigeants et d’influencer l’opinion publique. Leurs techniques s’inspirent souvent des principes machiavéliens, mais adaptés à l’ère des médias de masse et des réseaux sociaux.
Nos séries, télévisés ou sur les plateformes, se font quelques fois l’echo de ses stratégies mises au point et développés par des conseillers, Le Baron Noir, La Fiévre…
1° Contrôler le récit médiatique
Les spin doctors travaillent à orienter la couverture médiatique en faveur de leur client. Ils fournissent aux journalistes des angles spécifiques, des citations préparées et des éléments visuels soigneusement choisis.
Pendant la campagne présidentielle de 2008, l’équipe de Barack Obama a maîtrisé le récit médiatique en mettant en avant des thèmes comme l’espoir et le changement, tout en minimisant les controverses.
2° Détourner l’attention
Lorsqu’une crise éclate, ils utilisent des tactiques pour détourner l’attention du public. Cela peut inclure l’annonce d’une nouvelle politique ou la création d’un événement médiatique.
En 1998, pendant le scandale Lewinsky, l’équipe de Bill Clinton a mis en avant des succès économiques et des initiatives politiques pour rediriger l’attention.
3° Créer des ennemis communs
Ils exploitent souvent la polarisation en désignant un ennemi commun (un groupe social, un parti politique, un pays étranger) pour renforcer la cohésion de leur base.
Donald Trump a souvent utilisé cette stratégie en pointant du doigt les médias (« fake news ») ou les immigrants comme sources des problèmes du pays.
4° Utiliser les réseaux sociaux
Les spin doctors modernes exploitent les réseaux sociaux pour diffuser des messages ciblés, contourner les médias traditionnels et mobiliser des communautés en ligne.
La campagne de Brexit au Royaume-Uni a utilisé des publicités ciblées sur Facebook pour influencer l’opinion publique avec des messages souvent simplistes ou trompeurs.
5° Réécrire l’histoire
Les spin doctors travaillent à réinterpréter les événements passés pour servir les intérêts actuels de leur client. Cela peut inclure la réécriture de discours ou la réinterprétation de décisions controversées.
Après la crise financière de 2008, certains responsables politiques ont réinterprété leur rôle dans la crise pour paraître comme des sauveurs plutôt que des contributeurs au problème.
Points communs et différences :
Machiavel et les spin doctors reconnaissent l’importance de l’apparence et de la perception dans l’exercice du pouvoir.
Tous deux utilisent des stratégies de manipulation, de diversion et de contrôle de l’information.
Machiavel écrit dans un contexte de monarchies et de principautés, où le pouvoir est centralisé. Les spin doctors opèrent dans des démocraties modernes, où l’opinion publique et les médias jouent un rôle central.
Les spin doctors disposent d’outils technologiques (réseaux sociaux, big data) qui leur permettent de cibler des audiences avec une précision inédite.
Les stratégies de Machiavel et des spin doctors soulèvent des questions éthiques sur la manipulation de l’opinion publique. Alors que Machiavel justifie ses conseils par la nécessité de maintenir l’ordre, les spin doctors sont souvent critiqués pour leur rôle dans la dégradation du débat démocratique et la propagation de la désinformation.
Bien que séparés par plusieurs siècles, Machiavel et les spin doctors illustrent la permanence de certaines stratégies politiques. Leur héritage nous rappelle que la manipulation de l’opinion publique reste un outil puissant, mais aussi potentiellement dangereux, dans l’exercice du pouvoir.
L’art de la guerre de Sun Tzu, comme raffinement ultime de la manipulation ?
L’Art de la guerre de Sun Tzu est souvent interprété comme un traité stratégique qui va au-delà de la simple manipulation. Bien qu’il contienne des principes qui peuvent être perçus comme manipulateurs, son essence réside dans la maîtrise de la stratégie, de la psychologie et de la compréhension des dynamiques de pouvoir pour atteindre des objectifs avec efficacité et minimisation des conflits.
Voici quelques points clés qui pourraient expliquer pourquoi il est parfois associé à la manipulation, mais qui révèlent en réalité une philosophie plus profonde :
Connaissance et adaptation :
Sun Tzu insiste sur l’importance de connaître son adversaire et de s’adapter aux circonstances. Cela peut sembler manipulateur, mais il s’agit plutôt d’une compréhension approfondie des forces en présence pour éviter les conflits inutiles. Il préconise de connaître en premiers les éléments de fond comme , la géographie, la météorologie, la morale et le leadership des intervenants, la logistique et les ressources, l’évaluation objectives des forces en présence, …
L’importance de la ruse : Il valorise la ruse et la tromperie tactique, mais toujours dans le but de préserver des ressources et d’éviter des batailles coûteuses. Cela reflète une approche pragmatique plutôt qu’une manipulation malveillante.
Victoire sans combat : L’idéal pour Sun Tzu est de vaincre sans engager le combat, en utilisant la stratégie pour désamorcer les conflits. Cela montre une recherche de raffinement et d’efficacité plutôt qu’une simple manipulation.
Maîtrise de soi et discipline : Sun Tzu met l’accent sur la discipline, la maîtrise de soi et la clarté d’esprit. Ces qualités sont essentielles pour appliquer ses principes de manière éthique et efficace.
En somme, l’Art de la guerre est moins un manuel de manipulation qu’un guide pour comprendre les dynamiques complexes des conflits et les résoudre de manière intelligente et éthique. Son raffinement réside dans sa capacité à transcender la simple force brute pour atteindre des objectifs stratégiques avec finesse et sagesse.
L’ère Poutinenne, et le terrorisme. ou le mage du Kremlin.
L’ère Poutinienne et la question du terrorisme sont des sujets complexes qui se croisent à plusieurs niveaux : politique intérieure, stratégie internationale et influence idéologique.
Le terrorisme comme levier du pouvoir en Russie
Lorsque Vladimir Poutine arrive au pouvoir en 1999, il hérite d’un pays en crise, marqué par l’instabilité politique et les conflits en Tchétchénie. Son ascension est largement facilitée par une série d’attentats meurtriers sur le sol russe (notamment ceux des immeubles résidentiels à Moscou et Volgodonsk en 1999). Le Kremlin attribue ces attaques aux séparatistes tchétchènes, ce qui justifie une nouvelle guerre en Tchétchénie, menée avec une extrême brutalité.
Des voix critiques, notamment des journalistes comme Anna Politkovskaïa et des ex-agents du FSB comme Alexandre Litvinenko, ont suggéré que ces attentats auraient pu être organisés ou du moins exploités par le pouvoir pour asseoir la popularité de Poutine en tant que « chef de guerre » face à la menace terroriste.
Par la suite, d’autres crises comme la prise d’otages du théâtre de Moscou en 2002 ou celle de l’école de Beslan en 2004 ont renforcé l’image d’un président impitoyable, prêt à employer la force, même au prix de la vie de nombreux civils.
La guerre contre le terrorisme comme instrument de politique étrangère
Sur la scène internationale, Poutine a utilisé la lutte contre le terrorisme comme un argument central pour légitimer ses interventions :
En Syrie : En 2015, la Russie intervient militairement pour soutenir Bachar al-Assad sous prétexte de combattre Daech. En réalité, la majorité des frappes russes visent l’opposition au régime syrien, et non pas l’État islamique.
En Ukraine : Depuis 2014, le Kremlin qualifie les forces ukrainiennes et les nationalistes de « néo-nazis » ou de « terroristes » pour justifier son intervention dans le Donbass, et plus récemment l’invasion totale de 2022.
La manipulation de la peur : un parallèle avec Le Mage du Kremlin
Dans Le Mage du Kremlin, Giuliano da Empoli met en scène un personnage inspiré de Vladislav Surkov, un idéologue qui aurait joué un rôle clé dans la construction du pouvoir poutinien. Surkov est souvent associé à la « guerre hybride », qui combine guerre conventionnelle, cyberattaques, propagande et manipulation des foules.
L’un des principes fondamentaux du pouvoir en Russie sous Poutine, décrit dans le livre, est de créer un chaos contrôlé, où les citoyens ne savent plus à qui faire confiance. En jouant sur la peur du terrorisme, en brouillant les pistes et en adoptant une posture de « rempart » face aux menaces extérieures, Poutine renforce sa légitimité et décourage toute contestation interne.
Poutine a su instrumentaliser la peur du terrorisme pour asseoir son autorité, à la fois en Russie et sur la scène internationale. Que ce soit par une politique sécuritaire extrême, des guerres justifiées au nom de la lutte contre l’extrémisme, ou par des stratégies de manipulation de l’information, son régime a utilisé la terreur comme un levier de pouvoir.
Belle illustration romancée , quoi que, de l’ingénierie du chaos.
Du Machiavélisme à la nécessité du complot en démocratie.
En démocratie, le pouvoir repose sur la confiance des citoyens et la légitimité des institutions. Pourtant, la manipulation de l’opinion publique y joue un rôle fondamental, et l’histoire politique montre que l’usage du complot – qu’il soit réel ou construit – est une stratégie récurrente. Inspiré par une pensée machiavélienne, qui privilégie l’efficacité et la ruse sur la morale, cet usage permet aux dirigeants et aux acteurs politiques d’influencer les masses et de justifier certaines actions.
Le machiavélisme a souvent été perçu comme une apologie de la manipulation et de la ruse au service du pouvoir. Dans un contexte démocratique, où la transparence et la participation citoyenne sont censées prévaloir, le machiavélisme peut sembler anachronique, voire dangereux. Pourtant, il est indéniable que certaines de ses idées continuent de résonner dans les coulisses du pouvoir, notamment à travers la notion de complot.
Le complot se présente sous deux formes :
D’un côté, il y a les complots, les conspirations réelles, ces manœuvres secrètes organisées par un groupe restreint pour parvenir à ses fins. Elles existent dans l’histoire et ont façonné certaines décisions majeures, comme les coups d’État, les manipulations électorales ou les affaires d’espionnage.
De l’autre, il y a les théories du complot, qui sont souvent des récits construits ou exagérés, visant à faire croire à l’existence d’un ennemi caché agissant dans l’ombre pour manipuler ou contrôler la société ou, qui visent à accréditer des idées particulières, en insinuant le doute sur les vérités scientifiques aboutissent à l’idée que les élites nous “cachent des choses” et deviennent alors nos ennemis. Ces théories servent à mobiliser les foules en jouant sur leurs peurs et leur besoin de trouver une explication aux événements complexes.
Les théories du complot, quelque soit leur origine, réelle ou fantasmée, remplissent plusieurs fonctions stratégiques : elles permettent de rassembler une base électorale autour d’un discours de rupture, de discréditer les opposants en les assimilant aux forces supposément conspiratrices, et de justifier des mesures exceptionnelles sous couvert de lutte contre un péril caché. Elles exploitent les biais cognitifs humains, notamment la tendance à voir des intentions derrière chaque événement et à rechercher des explications simples à des réalités complexes.
Les dirigeants, qu’ils soient politiques, économiques ou médiatiques, peuvent être tentés d’utiliser ces théories pour asseoir leur pouvoir ou pour discréditer leurs adversaires. En créant un climat de suspicion et de méfiance, ils parviennent à diviser l’opinion publique et à affaiblir les contre-pouvoirs. Les réseaux sociaux, avec leur capacité à amplifier et à diffuser rapidement l’information, sont devenus des vecteurs privilégiés de ces manipulations “complotistes”.
L’impact sur la démocratie est profond. La diffusion massive de ces récits entraîne une méfiance généralisée envers les institutions, les médias et les experts. Elle polarise la société en opposant ceux qui adhèrent à ces théories à ceux qui les contestent, rendant le dialogue démocratique de plus en plus difficile. À terme, cette défiance affaiblit les piliers du système démocratique, car une société qui ne croit plus en la véracité des faits ou en l’impartialité de ses institutions est vulnérable à la manipulation et à la montée des régimes autoritaires.
L’existence de cette idéologie du complot est donc nécessaire à ceux qui veulent remettre en cause la démocratie et qui cherche à conquérir ou conserver le pouvoir en manipulant les foules qui vont alors s’extraire de la rationalité et pouvoir contester les fondements de la démocratie.
Conclusion.
Parvenir à convaincre sans manipuler à l’ère de la vérité alternative.
À l’ère de la vérité alternative, convaincre sans manipuler est un défi majeur. Dans un monde où les faits sont parfois déformés pour servir des intérêts spécifiques, il est essentiel d’adopter une approche éthique de la persuasion, fondée sur la clarté, la rigueur et le respect de l’autre.
Pour être crédible, il est d’abord primordial de s’appuyer sur des faits vérifiés et sourcés. Une argumentation solide repose sur des données précises et objectives, issues de sources reconnues. Présenter plusieurs perspectives, même celles qui vont à l’encontre de son point de vue, permet de démontrer une réelle honnêteté intellectuelle. Cette démarche ne doit cependant pas sacrifier la clarté : un discours accessible et compréhensible est essentiel. Il est important d’éviter le jargon superflu et de privilégier des explications simples, illustrées par des exemples concrets qui parlent à l’auditoire.
Au-delà des faits, l’intelligence émotionnelle joue un rôle clé dans la persuasion. Écouter activement son interlocuteur, comprendre ses préoccupations et répondre avec bienveillance permet de créer un climat de confiance. Plutôt que de chercher à imposer son point de vue, il est plus efficace d’encourager la réflexion. Poser des questions ouvertes, inciter à la pensée critique et valoriser l’autonomie intellectuelle de l’autre renforce l’impact du message.
Dans ce processus, il est essentiel d’éviter les biais de confirmation, qui nous poussent à ne retenir que les informations qui confortent notre propre opinion. Reconnaître les limites de son raisonnement et accepter d’apprendre de son interlocuteur sont des marques d’ouverture et de sincérité. Distinguer clairement opinion et fait, tout en aidant l’autre à faire de même, permet d’élever le débat au-dessus des simples croyances personnelles.
La communication positive est également un levier puissant. Reformuler les arguments de son interlocuteur pour montrer qu’on l’a bien compris, éviter les oppositions directes en remplaçant le « mais » par le « et », privilégier des expressions inclusives et constructives comme « Je comprends votre point de vue » plutôt que « Vous avez tort » facilitent un dialogue respectueux et productif.
Enfin, adopter une posture d’humilité et d’ouverture est fondamental. Il ne s’agit pas de convaincre à tout prix, mais d’éclairer, d’échanger et de permettre à chacun d’évoluer dans sa réflexion. Accepter que certaines personnes ne changeront pas immédiatement d’avis et valoriser le doute constructif plutôt que la certitude rigide permet de préserver la richesse du dialogue.
Convaincre sans manipuler, c’est avant tout respecter la liberté de pensée de l’autre tout en offrant des outils pour qu’il puisse affiner sa compréhension du monde. Dans un contexte où les vérités semblent parfois concurrentes, la véritable force réside dans la clarté du discours, l’écoute sincère et la recherche commune de sens.
Les pistes pour limiter la manipulation :
- Renforcer la législation sur la protection des données :
L’exemple du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) en Europe montre qu’il est possible d’imposer des règles plus strictes quant à la collecte et à l’utilisation des données personnelles (obtention d’un consentement explicite, droit à l’oubli, etc.).
Les utilisateurs doivent être informés de manière claire et transparente de la finalité de la collecte de leurs données. - Promouvoir la transparence et la régulation des publicités ciblées :
Il devrait être obligatoire d’indiquer clairement l’origine, la sponsorisation et le public visé par une publicité politique.
Certains réseaux sociaux ont déjà mis en place des bibliothèques de publicités pour plus de transparence.
Développer l’éducation numérique :
- Sensibiliser les internautes (dès le plus jeune âge) à la protection de leurs données, aux mécanismes de filtrage et de personnalisation du contenu, et aux risques de désinformation.
- Apprendre à vérifier et à recouper les sources, à prendre du recul face à des informations trop « sensationnelles ».
Encourager la recherche et l’audit indépendant :
- Permettre à des organismes tiers (journalistes, universitaires, associations) d’auditer les algorithmes et les pratiques des grandes plateformes.
- Permettre à des organismes indépendants ou à buts non lucratifs de proposer des algorithmes de recommandations intégrables sur les plateformes. (Voir article d’Anne Alombert, dans AOC, 15 mars 2025, Alternatives aux réseaux anti-sociaux)
- La collaboration entre acteurs publics, privés et chercheurs est essentielle pour comprendre les dynamiques d’influence à l’œuvre et définir des règles de bonne conduite.
Ou en sommes nous ?
En résumé :
Dans la première partie, nous avons tenté de comprendre ce qui nous permet individuellement de convaincre ou d’être convaincu, nous avons identifié nos comportements et leur part de faiblesse.
En deuxième partie nous avons examiné les stratégies, les techniques globales de manipulation et notamment les plus récentes, dopées par nos moyens techniques, du Big Data ou des réseaux sociaux.
Baruch Spinoza nous enseigne que c’est par la connaissance de ce qu’il appelle la nécessité, que nous pouvons nous libérer. Il entend par nécessité la suite des causes et effets qui conduisent à un événement, ou à une réalité vécue ou ressentie. «Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent.» Lettre à Schuller Octobre 1674.
Désormais nous voilà avertis des nécessités nous pouvons donc nous en affranchir ou du moins en mesurer ou en limiter les effets.
Mais au fond, que faut-il en penser ?
N’y a-t-il pas, dans toute tentative humaine de persuasion, l’origine même du problème ? L’infime espace qui sépare la manipulation de l’art de convaincre nous permet-il réellement de préserver l’exigence de vérité et la sincérité de nos convictions ?
Ne faut-il pas, à la manière de Machiavel, admettre que le « prince » peut légitimement recourir à la ruse pour gouverner et convaincre ? Et Sun Tzu, ne nous enseigne-t-il pas que dissimuler ses intentions est une vertu stratégique indispensable pour remporter la guerre ?
Mais il ne s’agit pas simplement ici d’un usage pragmatique des moyens. Chez Machiavel comme chez Sun Tzu, la ruse est mise au service d’un objectif supérieur : pour l’un, l’art de gouverner avec efficacité ; pour l’autre, celui de vaincre avec discernement.
Au début de cette réflexion, nous évoquions l’idée que la frontière entre manipulation et art de convaincre réside dans la conscience qu’ont les interlocuteurs des procédés utilisés. Admettons ce principe. Mais il faut aussi considérer que nos auditeurs, une fois ces intentions démasquées, peuvent à leur tour les retourner contre nous, user de contre-arguments, ou recourir à leurs propres stratagèmes. C’est là tout le paradoxe : convaincre exige parfois des détours, mais ces détours peuvent fragiliser la confiance, surtout lorsqu’ils frôlent le mensonge.
Dans ce contexte, l’usage ponctuel de procédés rhétoriques ou pédagogiques peut néanmoins se justifier. Il ne s’agit pas toujours de dissimuler, mais parfois de construire un chemin : ne pas heurter de front, mais amener progressivement à une prise de conscience, à un changement d’opinion, à une ouverture. Cette démarche, bien qu’elle mobilise des stratégies, peut se revendiquer d’une intention sincère, d’un effort pour élever plutôt que pour tromper.
Après tout, ne le faisons-nous pas tous, souvent sans y penser ? Avec nos proches, nos collègues, dans nos rôles sociaux multiples ? Nous apprenons de nos succès et de nos échecs, nous adaptons nos discours, et évaluons en nous-mêmes leur solidité ou leur faiblesse.
Mais un second problème se pose, plus profond encore : celui de la vérité elle-même, et de l’usage du mensonge ou de la tromperie.
Ces derniers se déguisent souvent sous des termes plus acceptables : « vérité apparente », « vérité illusoire », « vérité alternative ». Or, ces fictions érodent la confiance dans l’information et en ceux qui la transmettent. Elles minent toute approche scientifique, toute recherche rigoureuse, toute possibilité d’un dialogue fondé sur des faits. Et pourtant, force est de constater l’efficacité redoutable de ces discours manipulateurs, tant dans leur capacité à mobiliser que dans leur pouvoir de nuisance.
Il faut distinguer ici deux positions : celle de l’auditeur et celle de l’orateur.
Du côté de l’auditeur, en particulier face aux discours politiques ou médiatiques, la question du vrai est toujours en tension. Nous connaissons tous cette expérience : en lisant un bon roman policier, nous adhérons à une première vérité, pour découvrir, à la fin, qu’il s’agissait d’une manipulation. La surprise vient de notre propre naïveté et au fait que nous acceptons des vraisemblances. De même, dans notre rapport au monde, nous adhérons parfois à des « vérités » qui ne sont que des constructions plausibles, façonnées par notre histoire personnelle, nos désirs, nos biais cognitifs, notre culture, ou qui nous sont simplement recommandées, suggérées ou proposées.
Mais ce ressenti subjectif, aussi fort soit-il, ne constitue pas une preuve. Il n’est pas gage d’objectivité. Être conscient de cette limite est le socle du sens critique, cette capacité à interroger, à douter, à confronter.
Quant à l’orateur — le prêcheur, le politique, le manipulateur —, il peut aller plus loin : il peut consciemment mentir, travestir les faits, tout en feignant de dire le vrai. Le « faux-vrai » devient alors une arme. Il ne s’agit plus simplement de convaincre, mais de tromper, voire de détruire : institutions, savoirs, personnes, vérités.
Le but devient radical : remettre en cause la réalité elle-même pour imposer une version alternative, façonnée sur mesure. Ce travestissement volontaire de la vérité devient un levier de domination. Il permet d’effacer les repères communs, de neutraliser le débat, de rendre suspect tout discours contraire. Le savoir, devenu dangereux, est alors remplacé par la croyance manipulée.
Derrière cette entreprise se cache une volonté claire : faire croire, au moins temporairement, qu’il n’existe pas d’autre vérité que celle qu’on impose. C’est ce qui rend cette « ingénierie du chaos », cette fabrique du doute et du mensonge, si redoutable. Elle vise à anéantir les contre-pouvoirs, à établir une vérité unique, invérifiable, au service d’un pouvoir incontesté — et durable.
Nous devons donc, individuellement, faire des choix lucides et exigeants.
- Refuser de relayer des informations que nous ne pouvons valider nous-mêmes ou qui ne sont pas appuyées par une autorité reconnue.
(Mais alors, qu’est-ce qu’une autorité reconnue, lorsque nous-mêmes ne pouvons valider ? Voilà une question cruciale, qui exige un travail collectif sur les critères de légitimité et de compétence.) - Ne pas céder aux facilités de la rhétorique ou aux séductions de la ruse. Interroger nos propres stratégies de persuasion, comme nous interrogeons celles des autres.
- Refuser de participer à des logiques de chaos, de fabrication du mensonge ou de divisions artificielles, notamment dans l’utilisation des réseaux sociaux.
- Questionner systématiquement ce qui nous est présenté comme une évidence.
- Accepter de remettre en cause ce qui nous paraît aller de soi, en soumettant nos idées à la preuve, au débat, à la contradiction.
- Rester empathique, avec nous-mêmes comme avec nos interlocuteurs, y compris lointains, inconnus ou différents.
(Dans un autre article, je discute de la nécessité de préserver cette capacité d’empathie : elle est, depuis des milliers d’années, une des clés de la survie de notre espèce.)
Toutes ces réflexions, bien que prudentes, ne signifient pas que nous devons renoncer à nos combats. Il est des causes qui méritent que l’on mette en œuvre toutes nos ressources pour convaincre. Il est des moments où la confrontation est inévitable, où la douceur ne suffit plus. Le monde n’est pas sans aspérités ni sans violences — et certaines luttes sont vitales.
Mais que cette énergie ne se déploie pas au prix de la vérité, de l’éthique et de notre humanité. Car c’est cela, en définitive, qui nous distingue du cynisme destructeur.
Hors de la simple manipulation, je terminerai par un échange imaginaire entre deux spécialistes des stratégies humaines , Machiavel et Sun Tzu , « Le prince » contre « l’art de la guerre. » qui s’affrontent sur la force et le pouvoir.
M: “Contenter le peuple et ménager les grands, voilà la maxime de ceux qui savent gouverner.”
T : Je pense plutôt qu’ “ Il faut feindre la faiblesse et l’infériorité, et encourager l’arrogance de l’ennemi (…) Quand vous êtes capable, feignez l’incapacité. Quand vous agissez, feignez l’inactivité.”
M: Vous avez raison Maître Sun , » Tout le monde voit ce que vous semblez être, peu de gens voient ce que vous êtes réellement. »
Mais « Le lion ne peut se défendre des pièges, et le renard ne peut se défendre des loups. Il faut donc être un renard pour reconnaître les pièges, et un lion pour effrayer les loups. »
T: Je dirai moi que , “Le bon général a gagné la bataille avant de l’engager. .. Celui qui excelle à résoudre les difficultés les résout avant qu’elles ne surgissent. Celui qui excelle à vaincre ses ennemis triomphe avant que les menaces de ceux-ci ne se concrétisent.”
M: Vous avez raison “Gouverner, c’est mettre vos sujets hors d’état de vous nuire et même d’y penser., “
T: “C’est lorsqu’on est environné de tous les dangers qu’il n’en faut redouter aucun.”
M: “Pour prévoir l’avenir, il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tout temps des liens aux temps qui les ont précédés. Créés par les hommes animés des mêmes passions, ces événements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats.”
Le prince doit se connaître lui-même , nous ne pouvons que lui donner des conseils pour être et rester Prince. Nous sommes donc d’accord maître Sun.
Paul de l’isle , Co 03/2025
Annexes
Lexique.
Nous reprenons ici quelques termes qui permettent de préciser le champs lexical dans lequel ce situe cette étude.
Discours et énoncés
À l’origine il y a le discours, celui qui nous parvient sous la forme d’un énoncé, ou d’une suite d’énoncés, qui se veulent normatifs, explicatifs, et dont les contenus peuvent être scientifiques, politiques, artistiques, historiques, que sais je ?
Le discours recouvre un certain nombre d’énoncés assertifs, exclamatifs ou interrogatifs.
La performance de l’énoncé peut être de plusieurs types : informatif, argumentatif, poétique …
Elle traduit alors son objet , sa performance est induite par son objet . nous pouvons dire que l’énoncé réalise son objet, il performe.
Mediums et Médias.
Pour se diffuser un énoncé, un message, à besoin d’un lieu, un moyen, un moment ou il s’expose à un public. Le discours qui porte un message à besoin d’un support, nous dirons un médium. (journal, livre, télévision, radio, enseigne et désormais le web et ces outils sites, réseau sociaux…)
Un médium est donc un support de diffusion quel qu’il soit. Pour la diffusion des messages, outre la parole portée dans les agora(s) ou meeting, nous avons besoin des supports de diffusion massifs comme, la télévision, les réseaux sociaux, la presse écrite,.. .
Mac Luhan, linguiste canadien, dira : «le message c’est le médium» en effet le type de médium est en soi l’expression d’un rapport au monde, à la connaissance, d’une forme de pensée. Dans ses réflexions il distingue les médiums dits “chauds” ceux qui font appel à un sens en haute définition , la radio, le cinéma, des médiums dits froids comme le téléphone ou la télévision par exemple. L’utilisation des médiums dits chauds a un impact considérable sur notre cerveau, il confuse les sensations et modèle le message, comme le fait très bien le cinéma.
Les médias sont les organes, organisations, qui utilisent et gèrent les médiums.
Dans le langage courant, les deux termes, médium et média sont souvent utilisés pour le même usage.
Déconstruire
Tout énoncé s’inscrit dans un ensemble d’autres énoncés qui constituent, en quelque sorte son environnement, ses références.sa terre nourricière.
Jacques Dérida, Michel Foucault, et bien d’autres “déconstructeurs”, ont montré le rôle primordial de ces ensembles de références sous-jacentes qui structurent ou définissent un mode de pensée, une culture , un champ de pouvoir. Ainsi et surtout dans ce qui nous paraît si évident à dire, à penser , se cache une origine, une vision du monde, une structuration du champ cognitif. Nous y reviendrons pour éclairer le sens, les efforts de vérité et ne pas sombrer dans un nihilisme ou un complotisme.
Références :
- l’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer : https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/fichier/l-art-d-avoir-toujours-raison.pdf
- Pour comprendre les médias, Marshall Mc Luhan,Elise Chauvat (8 avril 2016).
https://acolitnum.hypotheses.org/523 - Abraham Maslow (https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_Maslow)
- article de Psychomédia , les biais cognitifs
Bibliographie :
- Gustave LE BON : Psychologie des foules”, nouvelle édition Quadrige 2013, première édition en 1895.
- Edwards Bernays , “Propaganda” , Presse de la fondation nationale des Sciences Politiques 2018, Première publication 1929.
- Marshall Mc Luhan, “Pour comprendre les médias,”
- David Chavalarias, “Toxic Data” 2018 , Directeur de recherche CNRS, au centre d’analyses et de mathématiques sociales, et directeur de l’institut des systèmes complexes de Paris.
- George Lakoff ,Don’t Think of an Elephant! : Une analyse des cadres narratifs (framing) dans le discours politique.
- Pierre Bourdieu : Langage et pouvoir symbolique : Une réflexion sur le rôle du langage dans la domination symbolique.
- La Fabrique du consentement (Manufacturing Consent) est un ouvrage publié en 1988 par Noam Chomsky et Edward S. Herman. Comment les médias modèle l’opinion publique en faveur des élites économiques et politiques.
- David Colon , Propagande , La manipulation de masse dans le monde contemporain. Flammarion, Champs, 2021
Émissions Tv ou radio :
Ingénierie du Chaos : Les ingénieurs du chaos, quand les réseaux manipulent nos opinions | France Inter , Zoom Zoom Zen, Mathieu Noel, autour du livre Toxic Data, de D. Chevalerias.
Paul de l’Isle.
SUITE Partie 1 : De la manipulation , la vérité alternative , la fabrique mensonge crédible. 1/2
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